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IV. — CONSPIRATION ET EXIL.

Jusqu’ici, qu’avait rapporté le carbonarisme à Lorenzo ? Peu de chose : tout compte fait, il lui avait donné, grâce à un heureux hasard, une maîtresse, et par suite infiniment d’ennuis, plus un duel où il avait failli perdre la vie. Tous les carbonari n’ont pas eu cette chance, et beaucoup ont été plus maltraités.

Cependant 1830 était arrivé, et l’œuvre souterraine du carbonarisme, triomphante en France, semblait devoir triompher également dans toute l’Europe, Un enthousiasme bizarre, qui ne s’est jamais vu depuis, qui ne s’était jamais vu auparavant, s’était emparé de tous les peuples. Les hommes allaient être rendus à leur vraie nature ; toutes les chaînes allaient tomber, et des rois citoyens allaient régir sagement, du haut de leurs trônes vermoulus, les mains liées et un bâillon sur la bouche, des populations ivres de liberté, qui s’abandonneraient sans contrôle, en vertu des droits de l’homme, à tous les excès de la licence. Néanmoins, avant de tomber au rang de rois citoyens, les monarques absolus de l’Europe firent un dernier effort ; ils prirent leurs précautions en Italie comme dans le reste de l’Europe, et en Piémont comme dans le reste de l’Italie. Un matin, l’oncle Jean entre haletant dans la chambre de Lorenzo : — Ah bien ! de jolies nouvelles ! Fantasio est arrêté, plusieurs autres sont arrêtés, peut-être allez-vous l’être aussi. Pourquoi diable vous ai-je empêché de vous faire capucin ? — Lorenzo et son frère César courent au domicile de Fantasio. Il était bien absent. Tout était encore dans le même état que lorsqu’il avait quitté sa chambre. Le volume de Byron était ouvert à la page même qu’il lisait lorsqu’on l’avait arrêté, et près du volume se trouvait une feuille de papier sur laquelle étaient écrites quelques pensées suggérées par la lecture du poème. Huit carbonari avaient été arrêtés avec Fantasio, et dans le nombre se trouvait un des amis de Lorenzo, le brave Sforza. Lorenzo parcourt toute la ville pour connaître les motifs de l’arrestation et savoir s’il n’y aurait pas moyen de faire évader Fantasio. Le premier carbonaro auquel il s’adresse est un certain docteur Peretti, un homme sans âge, qui pouvait avoir de vingt-cinq à cinquante ans, timide et égoïste comme doivent l’être nécessairement des gens aussi bien conservés. Peretti répond à ses questions en murmurant à voix basse que le mot isolement est pour le quart d’heure le mot d’ordre de la société. Lorenzo reçoit un meilleur accueil du comte Alberto, le frère de Lilla ; mais le comte ne savait rien et ne connaissait aucun des chefs de la société. Ces chefs étaient tous d’ailleurs de vieux conspirateurs, débris de 1821, trop prudens et trop expérimentés, qui avaient une défiance