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dans la santé. Chez la seconde, la macération et l’abstinence n’ont point autant dévasté l’économie : c’est la méditation en Jésus-Christ qui constitue tout le mouvement de la pensée. Le corps n’obéit plus à l’esprit que pour représenter les jeudis et les vendredis de chaque semaine les scènes de la passion par une pantomime animée, qui a pour intermèdes des momens d’extase.

A ceux qui douteraient du rôle de l’orgueil dans ces bizarres maladies, il suffit de signaler les relations dont les extatiques du Tyrol sont les héros. Quand on jette les yeux sur quelques-uns de ces récits, publiés à l’usage des catholiques sur les stigmatisés du Tyrol, — celui de M. l’abbé Nicolas par exemple, — on ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse et de pénible surprise. Voilà donc une sorte de procès-verbal médical présenté comme une introduction à la vie dévote, un livre qui glorifie la maladie et l’hallucination sous prétexte de guérir les cœurs ! Il y a quelque chose de plus déplorable encore dans l’histoire de la stigmatisation, c’est que l’on a prodigué parfois les mêmes honneurs à des hypocrites et à des imposteurs.


III.

Nous voici à une dernière période de l’histoire des maladies provoquées par le mysticisme chrétien. On a vu dans les stigmatisés et dans les extatiques l’influence de la piété d’abord, puis celle de l’orgueil exalté par la foi. Des mobiles moins nobles ont pénétré aussi dans le domaine de ces maladies; l’imitation intéressée ou puérile s’est produite à côté du vrai phénomène. Les exemples ne manquent pas pour caractériser cette dernière phase de la maladie morale que nous étudions. A mesure que le mobile s’abaisse en quelque sorte, l’influence contagieuse semble gagner en puissance. Avant de parler des impostures sur lesquelles nous n’avons point à insister, c’est la forme épidémique revêtue à certaines époques par les maladies du mysticisme qui doit nous occuper.

Les témoins oculaires et les historiens des visions ont trop souvent contribué à propager des influences qui semblaient pouvoir n’agir qu’au sein des cloîtres ou de la solitude. Ils ont célébré à l’envi l’empire de la volonté sur la chair. Sans doute il y a là un juste motif d’admiration, mais quand le corps n’est mis à cette rude discipline de l’esprit que pour en reproduire les aberrations, quand, au lieu d’accomplir le rôle que lui assigne la Providence, il n’est plus que l’instrument lent du suicide, faut-il proposer un semblable modèle à l’imitation ? Les historiens complaisans des phénomènes de l’extase ne se sont malheureusement pas arrêtés devant cette question, et