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du cloître ou de la cellule est tout un monde à part d’émotions et de jouissances intérieures qu’il est impossible de comprendre, si l’on ne cherche pas à se représenter dans quel ordre d’idées, dans quelle sphère habitent ceux qui l’ont embrassée. Aujourd’hui surtout que cette vie est plus étrangère que jamais à l’intelligence des masses, nous sommes plus ignorans de ce qui la caractérise.

L’ascète mystique éprouve de véritables délices à mortifier de plus en plus sa chair. L’esprit a saisi avec un tel empire la direction de ses actes, que le pieux rêveur assiste avec une sorte d’indifférence et même avec une joie secrète aux supplices qu’il inflige au corps. Le mystique est pour lui-même comme un médecin qui mesure froidement à l’intensité de la douleur l’espoir qu’il met dans le révulsif énergique auquel il a recours : plus est grande la souffrance, plus il espère dans la guérison du mal dont son âme est atteinte, et ce mal, c’est la vie, la vie d’ici-bas, loin de Dieu, où tout glace, tout énerve et corrompt, la vie qui n’est à l’âme embrasée de l’amour divin qu’une longue et cruelle attente.

Pour mieux faire saisir ces caractères étranges, il faut, au fond d’un de ces couvens des tiers-ordres de Saint-François et de Saint-Dominique qui nous ont offert le miracle de la stigmatisation, aller chercher quelques-unes de ces pauvres filles qui y ont consumé leur existence. Leurs vies en diront plus que toutes les analyses psychologiques.

A la fin du XVIe siècle vivait au Pérou une sainte dont les vertus ascétiques impressionnèrent vivement ses contemporains, et qui est devenue une des patronnes de la ville où elle a vu le jour. Cette femme est sainte Rose de Lima. Sainte Rose était née dans une position brillante et favorisée de la fortune; sa pauvreté a été toute volontaire. Le modèle qu’elle s’est sans cesse proposé, c’est cette même sainte Catherine de Sienne dont nous venons de voir tout à l’heure la stigmatisation exercer une si prodigieuse influence. Dès l’âge le plus tendre, la vie contemplative et ascétique lui apparut avec tout l’attrait d’une irrésistible vocation, et, coupant la belle chevelure qui commençait à parer sa beauté naissante, elle la consacra à Jésus-Christ. Tel fut le premier acte d’hostilité qu’elle dirigea contre son corps. Quoique son front eût perdu les boucles qui l’encadraient élégamment, son visage gardait encore un charme auquel plus d’un cœur se montrait déjà sensible. Elle voulut réserver pour Jésus-Christ seul, pour l’époux céleste qu’elle s’était choisi, cette beauté à laquelle prétendait la créature. Elle se barbouilla le visage de manière à se rendre méconnaissable, mais non pas comme les femmes du Thibet, qui savent faire disparaître promptement, une fois rentrées dans la chambre de leur époux, le masque noir à l’aide duquel elles