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se reproduisirent chaque semaine. Cette extatique répétait en gestes et en pensée l’exercice de dévotion qu’on appelle le chemin de la croix, et prenait les unes après les autres les diverses poses du Christ indiquées dans les stations. Les plus célèbres visions de ce genre sont celles d’Anne-Catherine Emmerich, qui forment un véritable supplément de l’Évangile. Elles ont été recueillies dans un livre qui a eu plusieurs éditions et qui est encore lu avidement par bien des catholiques. Sans doute un écrivain exercé a prêté son style à la religieuse augustine de Dulmen, mais il n’est point impossible qu’elle ait elle-même décrit de cette façon circonstanciée et pittoresque les tableaux qu’elle avait sous les yeux, et qui n’étaient que le reflet des images et des lectures dont sa tête était remplie. Sous l’empire de l’extase, comme dans quelques affections nerveuses, on observe un développement de la mémoire et des facultés imaginatives qui communique aux malades une certaine éloquence et rend présens à leur esprit une foule de choses et de faits en apparence oubliés. On voit le même phénomène se reproduire dans le rêve, dans le somnambulisme naturel et divers genres de folie. Le fait observé chez Anne-Catherine Emmerich a d’ailleurs devancé les stigmates, puisque nous voyons un pieux Écossais, du nom de Walthen, mort en 1214, et qui a eu les honneurs de la canonisation, assister dans ses extases à la représentation de la passion. Raptus in spiritu vidit vir sanctus seriatim dominicam passionem reprœsentari coram oculis suis, disent les actes conservés par les Bollandistes[1].

Les voyages en pensée dont il est parlé dans la vie d’autres extatiques sont de même les effets d’une de ces visions singulières que détermine la surexcitation de la mémoire. Tel est le cas de sainte Lidwine, qui croyait se rendre en Terre-Sainte sous la conduite de son ange gardien, tandis qu’elle demeurait immobile, et celui de Marie d’Agreda, qui, désirant la conversion des habitans du Mexique, se transporta mentalement dans ce lointain pays. De pareilles hallucinations nous reportent à la prétention qu’ont les somnambules de voyager en pensée, prétention que de graves esprits ont eu trop souvent le tort de prendre au sérieux.

Dans les exemples que nous rapportons, il est à noter que ce sont toujours les femmes qui dominent. Le nombre des stigmatisées connues est presque décuple du chiffre des hommes qui reçurent cette singulière faveur. Parmi cette classe d’extatiques, on en acompte plusieurs qui se plaignaient de violentes douleurs de cœur, et à l’ouverture de leurs corps on observa des lésions à cet organe. On ne manqua pas d’y voir le stigmate du coup de lance qui fit expirer Jésus

  1. Act. Sanct. III Aug, p. 264.