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s’abîmant un jour dans les élans de la prière la plus ardente, il crut entendre Dieu qui lui ordonnait d’ouvrir l’Évangile, afin que ses yeux pussent y lire ce qui serait le plus agréable à son créateur. Frappé de cet avertissement, saint François remercia Dieu dans une nouvelle prière qui dépassa encore en ferveur celles auxquelles il se livrait depuis le commencement de ce carême. « Ouvre-moi le livre sacré, » dit-il au frère Léon, qui l’avait suivi dans sa retraite. Trois fois cette épreuve fut faite, et trois fois le volume s’ouvrit au récit de la passion. Le saint crut reconnaître là un ordre de pousser son imitation de la vie du Sauveur plus loin qu’il ne l’avait encore fait. Sans doute il avait imposé silence à la chair par la mortification et crucifié son esprit et ses désirs, mais il n’avait point encore soumis son corps au supplice du calvaire, et c’est ce supplice que Dieu lui prescrivait en lui montrant du doigt le récit de l’Évangile.

Après cette épreuve, le solitaire n’eut plus qu’une pensée, le crucifiement de son divin maître. Il en passa et repassa en esprit les douloureuses phases, s’exaltant davantage à chaque contemplation nouvelle. En même temps qu’il exténuait son corps par un jeûne prolongé, il travaillait à évoquer en lui le tableau émouvant du Sauveur sur la croix. Dans ses visions, il était tellement absorbé par la pensée du Dieu souffrant, qu’il perdait conscience de lui-même et se croyait transporté dans un monde surhumain. Le jour de l’exaltation de la croix, comme il s’était livré plus encore que de coutume, en raison de la solennité, à une de ces contemplations extatiques, il lui sembla qu’un séraphin ayant six ailes ardentes et lumineuses descendait rapidement de la voûte des cieux et s’approchait de lui. L’esprit angélique soutenait entre ses ailes la figure d’un homme, les pieds et les mains attachés à une croix. Au moment où le saint contemplait ce spectacle miraculeux avec une émotion et un étonnement profonds, la vision s’évanouit tout à coup; mais le pieux anachorète en avait ressenti un contre-coup étrange, et toute son économie était demeurée gravement troublée. Il éprouva surtout aux pieds et aux mains des sensations douloureuses qui firent bientôt place à des altérations, à des espèces de plaies qu’il considéra comme des stigmates de la passion du Christ.

Le miracle du mont Alverne eut un immense retentissement. Rien n’était mieux fait pour frapper des imaginations avides de merveilleux et fortifier la vénération profonde que le saint personnage excitait par ses travaux et ses vertus. Le pape proclama les stigmates de saint François un don miraculeux de la grâce, et les chrétiens tinrent ce prodige pour une démonstration péremptoire du mystère de la rédemption, à raison surtout de cette circonstance, que les stigmates avaient été imprimés au saint le jour de l’exaltation de la croix. L’allégresse que causa le miracle fut surtout grande chez les