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comparer à Jésus-Christ, et s’il eût été possible de reconnaître une Trinité en quatre personnes, les ordres mendians y eussent certainement introduit leur fondateur comme une hypostase divine. On connaît l’ouvrage singulier du père Barthélémy de Pise intitulé Liber aureus inscriptus, liber conformitatum vitæ beati ac seraphici patris Francisci ad vitam Jesu-Christi Domini nostri, lequel a eu plusieurs éditions, et dont l’objet est de faire ressortir l’analogie de saint François d’Assise avec le Rédempteur. On y lit que la venue au monde du saint docteur fut annoncée par les prophètes, qu’il eut douze disciples, que l’un d’eux, nommé Jean de Capella, fut rejeté par lui comme Judas l’avait été par Jésus ; que saint François fut tenté par le démon, dont les efforts demeurèrent impuissans ; qu’il se transfigura à l’instar de son divin maître, et qu’il opéra des miracles absolument semblables à ceux de l’Évangile. On trouve encore, dans ce bizarre traité la proposition suivante : que saint François avait mérité le nom de Jesus Nazarenus rex Judæorum à raison de la conformité de sa vie avec celle de Jésus de Nazareth.

L’origine de ces étranges opinions, qui obtenaient un grand succès chez les ordres mendians, ne tenait pas seulement au soin qu’avait pris le pieux ermite de régler sa vie sur celle de son Sauveur ; elles avaient leur explication dans un fait extraordinaire qui, s’étant passé en 1224, dernière année de l’existence de saint François, le marqua en quelque sorte du sceau d’une élection spéciale de la grâce. Saint François avait éprouvé les douleurs du crucifiement et reproduit sur son propre corps le sacrifice sanglant de la passion.

Il était arrivé à la fin de sa carrière, après avoir vu réussir tous ses projets ; il avait obtenu du pape Honorius III la confirmation de l’ordre fondé par lui pour les deux sexes ; il avait inauguré une règle nouvelle, qui était regardée comme la conception la plus parfaite qu’on eût jamais Elle de la vie monastique. Satisfait d’une tâche si glorieuse, il s’était démis du généralat entre les mains de Pierre de Catane pour ne plus songer qu’à son salut. Il se retira en conséquence dans une solitude de l’Apennin, entre l’Arno et le Tibre, non loin de Camaldoli et de la Vallombrosa, et fixa sa retraite sur une montagne appelée l’Alverne, que lui avait abandonnée le propriétaire, un seigneur du pays, nommé Orlando Cataneo. Là, dégagé de tous les devoirs et de toutes les préoccupations de la vie pratique, saint François se livrait sans mesure aux rigueurs de l’ascétisme le plus sévère et méditait incessamment en Dieu. Des extases s’emparaient de temps à autre de son esprit et le rendaient de plus en plus indifférent aux objets de la terre ; les macérations, les abstinences se succédaient chez lui sans relâche. Parmi les carêmes surérogatoires qu’il s’était imposés se trouvaient les quarante jours qui séparent la fête de l’Assomption de celle de saint Michel. Exténué par le jeûne et