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les côtes de l’Asie et de la Grèce, s’abattit sur Constantinople avec une telle violence, que les cadavres restèrent longtemps entassés dans les rues, faute de bras, de litières ou de barques pour les enlever. Les tremblemens de terre ne firent pas moins de victimes ; on entendait la nuit, sous le sol des rues, un grondement sourd, et chaque secousse laissait échapper des exhalaisons de vapeurs noires qui empoisonnaient l’air. Le bruit des maisons croulant se mêlait de momens en momens à ce tonnerre souterrain. Le dôme de l’église de Sainte-Sophie, merveille de ce siècle, se fendit en deux, et l’on raconte que des colonnes arrachées à leurs bases, lancées en l’air comme par l’impulsion d’une baliste, allèrent à de grandes distances écraser les habitations. Un quartier voisin de la mer s’abîma presque sous les flots. Enfin, ce qui eut des suites plus funestes encore, la longue muraille bâtie par Anastase en travers de l’isthme de Constantinople fut ruinée sur plusieurs points. Il ne manquait que la guerre pour combler la mesure des maux, et la guerre, une guerre sauvage, éclata pendant l’hiver de 558 à 559.

Elle venait des Coutrigours, qui, vainqueurs des Outigours après six ans de lutte acharnée, demandaient compte au gouvernement romain de sa complicité avec leurs ennemis. Il faut dire que c’était moins l’immoralité des actes en eux-mêmes qui excitait les Coutrigours et leur mettait les armes à la main que le regret de leur ancienne subvention passée aux Outigours ; dans leur roi Zabergan, il y avait le fiel de l’orgueil blessé et le désir de montrer sa force à ceux qui lui préféraient Sandilkh. Il proclamait hautement que c’était là surtout la cause de la guerre. Ce barbare intelligent, hardi, comparable à Denghizikh, dont il était le successeur, n’ignorait point qu’il trouverait les Romains décimés par les plus épouvantables fléaux et la rive droite du Danube à peu près sans défense. Avec l’autorité qui accompagne toujours la victoire chez les nomades de l’Asie, il fit un appel aux Bulgares et aux Slaves, qui s’empressèrent d’accourir sous ses drapeaux, et Zabergan se mit en route, à la tête d’une armée formidable. Le Danube, gelé jusqu’au fond de son lit dès le début de l’hiver, semblait de moitié dans l’entreprise des Huns : aussi leur marche fut-elle facile à travers la petite Scythie et la Mésie inférieure, qu’ils ne s’amusèrent point à piller, et après avoir franchi non moins rapidement les gorges de l’Hémus, ils firent halte dans les environs d’Andrinople. C’est là, à vrai dire, que commença la campagne. Au sud de cette métropole de la Thrace se croisaient trois grandes voies dirigées vers des points importans de la Grèce et de l’Asie : à droite, la route de la Grèce proprement dite, qui, contournant la mer Egée, gagnait les défilés de l’Olympe et celui des Thermopyles ; à gauche, la chaussée de Constantinople, et entre les deux, dans la direction du sud-est, le chemin de la Chersonèse de Thrace conduisant en