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avait été coupée par ordre du médecin. En réalité, j’étais assez laid pour effrayer un quadrupède ! Quelle merveille que Lilla m’ait trouvé tel ! »

Brouilles et raccommodemens occupèrent ainsi plusieurs mois, mais enfin l’orage éclata. Parmi les connaissances de Lorenzo et de ses amis se trouvait un certain Beltoni, fat d’insupportable belle humeur, élégant de mauvais goût, très satisfait de lui-même et le faisant entendre à autrui. Un jour, Lorenzo, caché derrière un rideau, surprend toute une conversation dans laquelle Beltoni se vante de ses aventures amoureuses. La malheureuse femme qui fait le sujet de la conversation n’est autre que Lilla elle-même. Lorenzo passe toute la nuit à rassembler les lettres qu’il a reçues d’elle et à écrire la lettre de séparation, tâche difficile et qu’il faut recommencer plus d’une fois. — C’est trop dur ! c’est trop indulgent ! c’est trop froid ! — La lutte finit par une défaite. Après tout, ce Beltoni est un fat, toute cette histoire est peut-être une pure invention de sa part. Lorenzo a une entrevue avec Lilla. Comment, elle, aimer cet homme ! quelle odieuse histoire ! Elle a été coupable par légèreté peut-être, Beltoni l’amusait, il contait de si plaisantes histoires, mais voilà tout. La tempête éclate avec son habituel accompagnement de pleurs, de sanglots, d’évanouissemens. Lorenzo cède encore et s’en retourne calmé, mais refroidi. Les relations continuent. Cependant un jour de fête populaire Lorenzo aperçoit à un balcon la tête de Lilla penchée près de celle de Beltoni. Le paquet de lettres scellées depuis plus d’un mois est envoyé immédiatement, et les billets d’explication et d’excuse de Lilla sont rigoureusement refusés. Le silence se fait pendant quelques mois autour de Lorenzo. Enfin Lilla apparaît subitement un matin à la campagne, dans un lieu écarté dont Lorenzo avait fait sa retraite favorite, et alors a lieu la scène définitive et violente, inévitable et nécessaire dénouement.


« — Vous voilà enfin, dit-elle. Je suis à vous chercher et à vous attendre depuis deux heures.

« J’étais tellement étonné et stupéfait, que je ne pus trouver un mot à répondre.

« — Vous vous attendiez peu, poursuivit-elle amèrement, à ce qu’un jour je ferais usage de la belle description que vous m’aviez faite de cette vallée et de ce que vous appeliez d’habitude votre oasis dans le désert, pour venir vous y surprendre, assez peu agréablement à ce qu’il me semble.

« — Si vous désiriez me surprendre, vous avez, je le confesse, réussi parfaitement ; agréablement, cela ne se peut guère. La démarche que vous venez de faire est si imprudente, si téméraire ! Nous pouvons être vus de tous côtés.

« La lèvre de Lilla se plissa. — Vous craignez que je ne porte atteinte à ma réputation ? Comme vous êtes devenu prudent tout à coup ! Vous l’étiez moins lors de nos rendez-vous quotidiens dans le jardin.

« — Je regrette de vous voir ici, parce que je crains, bien plus parce que