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Justinien entendit la contre-partie de ce qu’il avait entendu la veille. Si le message des Lombards, rude, acerbe, mais adroit dans sa rusticité, avait eu pour but de piquer d’honneur les Romains et d’aiguillonner leurs rancunes, celui des Gépides, non moins adroit dans sa feinte modération, fut calculé pour mettre en contraste leur esprit de soumission et de paix avec l’orgueil sauvage de leurs rivaux. « Les Gépides, en adressant cette ambassade à l’empereur des Romains, venaient demander un juge plutôt qu’un allié, et il fallait bien qu’ils eussent été attaqués injustement, puisqu’ils cherchaient un arbitre : le provocateur d’une querelle se conduirait-il ainsi ? Personne au reste ne s’aviserait d’attribuer une pareille démarche à la peur : on savait trop bien qu’en nombre comme en vaillance le Gépide était autre chose que le Lombard. Si donc le premier invoquait dans la circonstance présente l’amitié de l’empereur, c’était par déférence et respect, et aussi pour lui offrir sa part d’un triomphe assuré. » — « O césar, dirent encore les envoyés de Thorisin, les Lombards sont pour toi des amis d’hier : les Gépides sont de vieux alliés éprouvés par le temps. Les Lombards n’ont pour eux qu’une audace insensée qui les porte à se ruer sur tout ce qui les approche ; les Gépides sont sages et puissans. Vingt fois nous avons voulu te soumettre nos griefs, les Lombards s’y sont opposés, et maintenant qu’ils ont amené la guerre au point où ils voulaient, inquiets de leur faiblesse, ils espèrent t’armer contre tes amis. Ces voleurs prétendent qu’ils nous attaquent parce que nous occupons Sirmium, comme si les terres et les villes manquaient à ton empire, comme si tu n’avais pas tant de provinces dans le monde que tu cherches des peuples pour les habiter. Nous-mêmes, nous aimons à le proclamer : le pays que nous possédons, nous le devons à la générosité des Romains. Or le bienfaiteur doit appui et protection à celui qu’il a gratifié. Octroie-nous donc ton assistance contre les Lombards, ô empereur ! ou du moins reste neutre entre eux et nous : ce faisant, tu aviseras convenablement aux intérêts de ton peuple, et tu obéiras à la justice. »

Justinien délibéra longtemps en lui-même et avec son conseil sur ce qu’il convenait de faire dans la circonstance. Se mêlerait-on de la querelle ou laisserait-on les deux champions s’entre-détruire tout à leur aise, sans favoriser ni l’un ni l’autre ? Si l’on se décidait à intervenir, il fallait évidemment assister les Lombards. D’excellentes raisons plaidaient pour chacun des deux partis, car si d’un côté les Romains devaient désirer le prompt anéantissement des Gépides, d’un autre côté il y avait péril pour eux à fortifier outre mesure ces Lombards, d’une amitié déjà si incommode. Tout bien considéré, on éconduisit les premiers, et on promit aux seconds un secours de dix mille cavaliers romains et de quinze cents Hérules auxiliaires,