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Danube. Ce fut la première association conclue dans le berceau de l’empire de Russie entre les deux élémens principaux dont il devait se composer un jour, le Slave oriental et le Hun finnois. Cette première alliance en amena une troisième, celle des Bulgares, que les Huns appelèrent à leur aide des bords du Volga. Ainsi s’organisa une des plus formidables coalitions qui eussent encore menacé Constantinople et la civilisation de l’ancien monde.

Alors et pour la première fois retentit dans l’histoire ce mot de Slave aujourd’hui si fameux. Cette grande race et les vastes espaces qu’elle couvrait au nord des Carpathes, entre la Baltique et la Mer-Noire, n’avaient guère été connus jusqu’alors que par des noms étrangers, résultats de la conquête. Soumis à un double courant d’invasion, — de la part des Asiatiques du côté du soleil levant, de la part des Germains et des Scandinaves du côté du soleil couchant, — les Slaves et la Slavie n’avaient jamais été libres. Vers le commencement de notre ère, ils appartinrent aux Sarmates, peuple nomade venu probablement du Caucase, et le pays s’appela Sarmatie. Au IVe siècle, les Goths Scandinaves, devenus puissans sur la Mer-Noire, subjuguèrent les Sarmates, et avec eux les Slaves, leurs vassaux ou serfs. Balamber en 375 ayant détruit l’empire d’Hermanarik, Goths, Sarmates et Slaves se rangèrent tous à la fois sous la domination des Huns. À la mort d’Attila, il se passa un phénomène curieux. Les Goths, séparés des Huns, partirent pour leur vie d’aventures dans le midi de l’Europe ; les débris de la nation sarmate, suivant la fortune de Denghizikh ou d’Hernakh, se confondirent parmi les hordes hunniques, tandis que les autres peuples germains, qui auraient pu prendre leur place comme dominateurs de la Slavie, étaient emportés par cette force irrésistible qui poussait les Germains sur l’Italie : les Slaves n’avaient donc plus de maîtres, et ils se trouvèrent libres sans avoir rien fait pour le devenir. Ils n’eurent plus qu’à reprendre possession de la terre qui leur appartenait et du nom qu’ils se donnaient eux-mêmes.

Que signifie ce nom de Slave, — Slove dans l’ancien idiome russe, Sclave dans les écrivains grecs et romains[1] ? La vanité nationale le tire du mot slava, qui veut dire gloire ; mais ce mot lui-même dérive de slova, parole, comme en latin fama (la renommée) dérive de fari (parler)[2]. La gloire, c’est la parole du genre humain sur un

  1. Le premier annaliste des Russes, Nestor, appelle Slovènes les peuples que les Grecs et les Romains appelèrent Sclavènes et Sclavines. — L’a et l’o se confondent d’ailleurs dans plusieurs dialectes slaves.
  2. Dans slova, parole, l’i est aspirée et se prononce avec un son guttural que les Grecs ont très bien pu rendre par et ou khl, et qu’ils rendent même quelquefois par th : on trouve sthlavoi dans l’orthographe de plusieurs noms où le mot slave entre comme composé.