Mlle Rachel nous est revenue après une absence de six mois. Tous ceux
qui ont suivi la tragédienne depuis seize ans, qui ont épié les transformations accidentelles de son talent, savent que ces longues absences ne profitent pas à sa gloire. Chaque fois qu’elle demeure hors de Paris pendant
quelques mois, elle nous revient toujours avec un goût déplorable pour l’exagération. Cette fois encore nous avons pu constater ce fâcheux résultat de
ses pérégrinations. Elle vient de passer en revue les rôles les plus applaudis
de son répertoire, et ses flatteurs les plus dévoués, les plus serviles, n’oseraient
soutenir qu’elle soit en progrès. Non seulement elle n’a rien appris, mais
elle a beaucoup oublié. Elle ne vaut pas ce qu’elle valait. Pour ma part, je
n’ai jamais pensé qu’il y eût en elle l’étoffe d’une tragédienne complète : il lui
manque bien des qualités dont l’art dramatique ne saurait se passer; mais
avant de tenter ces longs voyages dont les journaux nous donnent le bulletin, elle possédait du moins un mérite singulier que personne n’osait lui contester. Si elle ne savait pas toujours émouvoir, parce qu’elle est rarement émue,
elle apportait constamment dans sa diction une simplicité qui abusait les auditeurs inexpérimentés, et qui lui tenait lieu de sensibilité. Aujourd’hui la
simplicité a disparu. La manière étrange dont elle a représenté Marie Stuart
et Camille suffirait à démontrer la légitimité de mon affirmation. Je ne parle
ni de Monime, ni de Pauline, car elle n’a jamais bien compris ces deux rôles,
d’une nature si exquise et si élevée. Il y a dans ces deux personnages une
délicatesse qu’elle n’a jamais saisie complètement, et que ses professeurs ne
pouvaient lui révéler. Pour apprécier l’égarement de son talent, je vais
donc m’en tenir aux rôles de Marie Stuart et de Camille.
Tous ceux qui fréquentent le théâtre se rappellent encore l’étonnement de l’auditoire, il y a seize ans, lorsque Mlle Rachel, dans la fleur de l’adolescence, vint réciter les imprécations de Camille. À cette époque déjà si loin de nous, elle écoutait le récit de son frère et se contentait de révéler par le jeu de sa physionomie les combats intérieurs de son âme. Chacun admirait la grandeur et la simplicité de sa pantomime. Que nous sommes loin aujourd’hui de ces belles soirées ! que nous sommes loin de cet art majestueux et savant, qui, sans pouvoir remplacer la passion vraie, la passion profonde et sincère, excitait du moins l’admiration ! L’expression du visage, si habilement combinée, a fait place à des gestes convulsifs, à des attitudes laborieuses, qui