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qui avaient leurs baudriers sur les reins, et sur la tête des tiares de différentes couleurs, qui paraissaient tous officiers de guerre et avaient l’air des enfans de Babylone et du pays des Chaldéens, où ils ont pris naissance,

« Elle s’est laissée emporter à la concupiscence de ses yeux ; elle a conçu pour eux une folle passion et elle leur a envoyé ses ambassadeurs en Chaldée.

« Et les enfans de Babylone étant venus vers elle,… elle a été corrompue par eux, et son âme s’est rassasiée d’eux. »

Ces détails précieux sont peut-être les plus complets qui existent sur les peintures chaldéennes. Ces officiers de guerre dont parle Ezéchiel ont un grand air de famille avec les personnages de la frise cintrée de Khorsabad, qui portent sur la tête des espèces de tiares vertes ; seulement ces derniers sont ailés. Les fougueux désirs que conçoivent les filles d’Israël à la seule vue des peintures murales des Chaldéens, imitées par des artistes de leur pays, témoignent mieux que bien des descriptions du talent des peintres babyloniens. Ezéchiel, Baruch, Jérémie et tous les prophètes qui se trouvaient au nombre des Juifs transportés à Babylone, sous le règne de Nabuchodonosor, virent la royale cité dans toute sa splendeur et prophétisèrent sa ruine prochaine ; mais il résulte de ces prophéties mêmes que c’est à juste titre que l’on a placé sous le règne de ce prince l’apogée de l’art babylonien, tandis que l’apogée de l’art ninivite remonte à l’époque de Sardanapale, c’est-à-dire cent et quelques années plus haut.

Cet art babylonien était fameux dans tout l’Orient. « Babylone est une coupe d’or dans la main du Seigneur qui a enivré toute la terre ; toutes les nations ont bu de son vin, et elles en ont été agitées ! » s’écriait Jérémie, faisant magnifiquement allusion à cette irrésistible influence que les Babyloniens exerçaient surtout par les arts. Bientôt cependant, témoin anticipé de la ruine de la fastueuse cité, il pousse un long cri de désolation : « Voici ce que dit le Seigneur des armées : Ces larges murailles de Babylone seront sapées par les fondemens et renversées par terre ; ses portes si hautes seront brûlées, et les travaux de tant de peuples et de nations seront réduits au néant, seront consumés par les flammes et périront. »

Les résultats de la mission de Babylonie, rapprochés du témoignage des prophètes, ne nous laissent, on le voit, aucun doute sur ce qu’avait à la fois de fastueux et d’éphémère l’art chaldéen. S’il est permis de tirer une conclusion des recherches poursuivies depuis trois années environ dans cette région de l’Orient, c’est que la civilisation chaldéenne était arrivée à ce degré de raffinement qui se traduit souvent dans les arts par l’exagération des proportions et l’extrême richesse des matières employées, ce qui, loin de créer des œuvres durables, n’est au contraire qu’une cause de prompte et inévitable destruction. Telle est du moins l’impression que nous laissent les monticules formés des restes pulvérisés de ces gigantesques édifices et les rares débris qu’on a pu arracher au territoire babylonien ; telle est aussi la conviction à laquelle nous conduisent les récentes appréciations des explorateurs qui l’ont parcouru.


F. Mercey.