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— Je ne puis rien vous dire de plus que ce que vous savez, répondit Lazare. Quand je croirai pouvoir retourner chez vous sans danger pour mon repos, — je ne parle pas du vôtre, qui ne peut se croire menacé, — vous m’y verrez revenir, et je souhaite que ce puisse être bientôt. Jusque-là ne nous voyons ni ailleurs ni ici.

— Pourquoi ? demandait le jeune homme un peu étonné. Je comprends que vous ne veniez point chez Claire; mais que moi je vienne chez vous, cela est tout différent.

— Après l’aveu que j’ai dû vous faire, reprit Lazare, nous serions mutuellement embarrassés vis-à-vis l’un de l’autre. Les circonstances nous font une situation exceptionnelle. Pour la tranquillité et la sincérité de nos relations futures, attendons que la cause qui les aura momentanément suspendues n’existe plus.

— Vous êtes un singulier garçon.

— Au moins, reconnaîtrez-vous qu’il n’y a rien de suspect dans ma conduite ?

— Vous êtes d’une loyauté rigoureuse, je le reconnais, dit Eugène; mais pourquoi l’étendez-vous jusqu’à nos rapports personnels ? Les raisons que vous me donnez pour ne plus nous voir paraissent avoir été improvisées dans le dessein de dissimuler votre intention véritable.

— Je vous ai fait un aveu qui doit vous donner la mesure de ma franchise.

— Eh bien, soit! j’accepte votre arrangement; mais vous allez me promettre une chose.

— Laquelle ?

— C’est que vous vous souviendrez que j’aurai toujours du plaisir à vous voir et à vous être agréable. J’ai confiance dans votre talent et dans son avenir, et ce sera m’obliger que de me fournir des occasions de vous le prouver en n’hésitant pas à me demander un service. Ce que je vous dis là est très franc, Lazare, entendez-le bien. Vous avez dans l’esprit de fâcheuses dispositions qui vous tiennent presque toujours en état d’hostilité préventive contre une classe de la société que vous ne connaissez pas. Laissez-moi vous prouver que vous êtes quelquefois dans l’exagération, et si une sympathie bienveillante s’offre à vous être utile et à vous rapprocher du but où tendent vos efforts, en supprimant quelques-uns des obstacles qui vous en séparent, accueillez-la sans la soumettre aux subtilités d’une analyse défiante ; voilà ce que je voulais vous dire, et bien vous dire, souhaitant que vous ayez bien entendu.

— Mais je crois vous avoir donné la preuve que je vous avais compris, répondit Lazare; il n’y a pas encore longtemps que j’ai eu recours à vous.