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recevoir de nouveaux, car il était fort satisfait de son travail. Ce fut le contraire qui arriva : Lazare le découragea par des critiques dont chacune était l’envers de ses précédens éloges. Antoine crut devoir lui signaler ces contradictions avec lui-même. — Quand on n’est pas disposé à suivre un avis, on ne le demande pas, répondit sèchement Lazare.

— Alors tu n’es pas content de mon dessin ? dit Antoine.

— Qu’est-ce que cela peut te faire, puisque tu supposes que je fais de la contradiction pour le plaisir d’en faire ?

— Cela me fait, reprit Antoine, que, puisque tu n’es pas content de mon travail, j’hésite à te demander un service que je voulais réclamer de toi.

— Lequel ?

— Je voulais te prier de me placer ce dessin chez ton ami Eugène. Je comptais même te prier aussi de le voir demain à ce propos. La dernière livre d’huile est dans la lampe, et le dernier morceau de bois brûle dans le poêle. Demain l’atelier chômera, non pas faute d’ouvriers, mais faute d’outils. Si ton ami pouvait acheter ce dessin, cela nous rendrait du courage pour un bout de temps.

— Cela arrive mal, dit Lazare, je suis brouillé avec Eugène.

Il n’eut pas plus tôt dit ces paroles, qu’il le regretta, supposant qu’Antoine allait lui demander la raison de cette brouille, qu’il ne pourrait expliquer, puisqu’elle n’existait pas. Ce fut en effet ce qui arriva. — C’est fâcheux que vous soyez mal ensemble, dit Antoine; puisque ce garçon est riche et connaît du monde, comme tu me l’as dit, par ses relations ou par lui-même il aurait pu nous être utile.

— Quelle raison de nous être utile peut avoir un garçon qui ne nous connaît pas ?

— Je ne parle pas de nous, mais de toi. Je t’ai entendu, il y a encore peu de temps, parler de lui avec mille éloges; nous te croyions son ami, comme tu paraissais être le sien.

— À ce point que vous étiez jaloux de lui, interrompit Lazare, et quand j’allais le voir, vous me plaisantiez en disant : — Voici Lazare qui va dans le monde!

— La plaisanterie était bien innocente, et si nous étions jaloux d’une affection qui t’éloignait de nous, cela prouve le cas que nous faisons de la tienne.

— Écoute, reprit Lazare avec un peu plus de douceur, je crois que nous ferons bien à l’avenir de ne point chercher de relations ni d’affections hors de chez nous. Mes visites chez Eugène me causaient des distractions : d’abord je venais plus rarement ici, ensuite c’était un milieu où je ne me trouvais pas à l’aise. Malgré son apparente