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— Ah ! oui, fit Lazare, rappelé à son personnage au moment où il comptait être dispensé de le jouer. Eh bien! ajouta-t-il avec une fatalité majestueuse, on m’attendra...

En le reconduisant, la jeune femme, pour l’éclairer, abaissa sa lampe vers la rampe de l’escalier; mais le rayon lumineux projeté par l’abat-jour mit en évidence un papier froissé resté sur le carré. Le regard de Claire s’arrêta instinctivement sur ce papier; elle le ramassa, et, après l’avoir déplié, reconnut l’enveloppe d’une lettre adressée à Eugène. Une chose la frappa, c’est que la suscription était, comme la lettre qui l’avait tant tourmentée dans la soirée, à l’encre bleue.

— Lazare, dit-elle en se penchant sur la rampe, remontez, vous avez oublié quelque chose.

Le jeune homme obéit.

— Qu’est-ce ? demanda-t-il, sans voir les traits altérés de Claire.

— Vous avez laissé sur la cheminée une lettre.

— Non, non, répondit l’artiste; je l’ai mise dans ma poche tout à l’heure, je vous assure,

— Non, reprit Claire, elle est restée où je vous dis. Venez la prendre.

Lazare fouilla dans sa poche, trouva le billet et le montra triomphalement; mais avant qu’il eût pu l’en empêcher, Claire lui avait arraché la lettre des mains. Elle en compara l’écriture avec celle de l’enveloppe dans laquelle elle la fit glisser, et, rendant le tout à Lazare, elle lui dit seulement : « Regardez cette adresse! » Le jeune homme jeta les yeux sur l’enveloppe et vit le nom d’Eugène; il secoua la tête.

— Vous le voyez, dit Claire, ceci détruit tout votre travail, et je crois qu’on ne vous attend plus.

Avant que l’artiste eût pu lui dire un mot, elle était rentrée chez elle. Comme Lazare tournait le coin de la rue, il rencontra Eugène. — Félicitez-moi, lui dit celui-ci. Je viens de rompre la chaîne de Mlle Hermine. Et chez moi, comment cela s’est-il passé ?

— Il paraît que c’est la soirée aux ruptures. Je crois que Claire a rompu avec vous.

Et Lazare raconta à Eugène le dernier épisode qui avait terminé la soirée.

— Diable! dit le jeune homme avec inquiétude, vraiment, vous croyez ?...

— J’en ai peur, dit Lazare.

Et les deux jeunes gens se séparèrent pour aller chacun de son côté.