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Telle était l’influence que lui donnaient la pureté de sa vie et son incontestable supériorité.

« Fantasio était très versé dans la connaissance de l’histoire et de la littéture non-seulement de son pays, mais des pays étrangers. Shakspeare, Byron, Goethe, Schiller, lui étaient aussi familiers que Dante et Alfieri. D’un corps frêle et maigre, il avait une infatigable activité d’esprit ; il écrivait beaucoup et bien à la fois en vers et en prose, et il y avait à peine un genre qu’il n’eût pas essayé, essais historiques, critique littéraire, tragédies, etc. Amant passionné de la liberté sous toutes les formes, un indomptable esprit de révolte contre tous les genres de tyrannie et d’oppression respirait dans son âme ardente. Bon, sensible, généreux, il ne refusait jamais ses conseils ni ses services, et sa bibliothèque bien fournie, comme sa bourse bien pourvue, était toujours à la disposition de ses amis. Peut-être aimait-il trop à déployer l’éclat de ses talens de discussion aux dépens du bon sens, en soutenant par momens d’étranges paradoxes ; peut-être y avait-il une légère affectation dans son invariable costume noir, et son horreur pour les cols de chemise apparens était certainement quelque peu exagérée ; mais tout compte fait, c’était un noble jeune homme. »


Je ne doute pas que le portrait n’ait été ressemblant à cette époque, et quelques-unes des qualités que Lorenzo prête à Mazzini peuvent très bien expliquer certains actes de sa vie ultérieure. Qui n’a connu quelqu’un de ces jeunes gens prématurément sérieux et qui ont peine à porter la gravité de leurs pensées, dont la nature morale est trop forte pour leur tempérament, et dont les aspirations sont un poids trop lourd pour leur caractère ? Tel a été, je le crois du moins, le malheur de M. Mazzini ; il semble qu’il y ait eu une disproportion marquée entre ses ambitions et ses forces, entre le but qu’il s’assignait et les moyens que sa nature pouvait lui fournir. Tout le monde a vu le portrait de ce révolutionnaire célèbre : une belle et intelligente figure, rêveuse et (contradiction frappante !) spirituelle en même temps, un air d’exaltation mêlé à beaucoup de ruse, peu de force et de solidité dans les traits ! Sur l’ensemble général de la physionomie court un rayon d’élévation morale, vague et inquiète, semblable à une mince couche d’huile répandue sur un vase d’eau. Deux réflexions vous saisissent en contemplant cette figure : c’est d’abord l’absence complète de solidité qu’elle révèle, et puis une certaine contradiction dans les diverses expressions qu’on peut y lire. On dirait qu’un masque rêveur, exalté à la moderne, à l’allemande ou à l’anglaise, a été placé sur le véritable visage, qui se laisse apercevoir par les trous du masque, visage spirituel, fin, mobile, tout italien. Lorenzo nous apprend que Mazzini possédait une riche veine comique. Qui s’en serait jamais douté en lisant ses proclamations et ses opuscules politiques ? — Encore cette vieille tragédie d’une nature primitivement bien douée et qui s’est faussée par trop d’ambition et