Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regardant dans la glace le visage de la jeune femme, maintenant épanoui par la gaieté dont il était la cause, — voilà un changement à vue qui ne m’a pas coûté cher. Pendant qu’elle pense à ma bêtise, elle ne pense pas à autre chose.

Quelques jours après, se trouvant seul avec Eugène, Lazare lui donna à entendre que sa maîtresse s’alarmait de la régularité de ses absences. — Elle vous en a parlé ? demanda-t-il avec vivacité.

— Non, répondit Lazare, mais j’ai compris.

Eugène fit un geste d’impatience.

— Si vous avez quelque affaire délicate qui vous appelle en ville, continua Lazare, mettez-y un peu de discrétion. Je ne suis pas toujours là pour détourner par une balourdise la pensée de Mme Claire, quand elle s’engage dans la voie du soupçon. — Et il lui rappela l’incident de la précédente soirée.

— Claire m’a conté cela, dit Eugène. Quand je suis rentré ce soir-là, j’avais bien peur d’un interrogatoire embarrassant; mais j’ai au contraire trouvé mon juge d’instruction d’une bonne humeur miraculeuse... Il ne faut pas lui en vouloir, mais vous savez qu’elle est terrible à propos de musique. Il paraît que vous lui avez dit quelque chose d’énorme, car elle se moquait de vous de bien bon cœur.

— Je comprends cela, répondit tranquillement Lazare. Lorsque j’entends un ignorant avancer à propos de mon art une de ces opinions qui vous coiffent un homme d’un bonnet à longues oreilles, cela me met en rage. Rien n’est plus sensible que les sympathies de l’artiste, le moindre choc les froisse.

— On dirait que vous éprouvez du regret d’avoir froissé Claire dans les siennes. Rassurez-vous, ajouta Eugène, elle ne pousse point les choses si loin que vous, et vos hérésies musicales la mettent tout simplement en belle humeur.

— Dont vous profitez, interrompit Lazare.

— Et dont je vous remercie, dit Eugène, maintenant que je sais quelle était votre intention.

Peu de temps après, Eugène, étant allé prendre Lazare dans son atelier, le ramenait dîner chez Claire. Comme ils arrivaient devant la maison, un commissionnaire, qui se promenait sur le trottoir en face, s’approcha d’Eugène et lui tendit une lettre. — Quelle imprudence! dit le jeune homme. Quand on vous enverra, ne m’attendez jamais devant cette maison; restez au coin de la rue. Prenez cette lettre, je vous en prie, continua Eugène en s’adressant à Lazare; décachetez-la; faites semblant de la lire, et payez le commissionnaire en ayant soin de lui rendre une réponse. — Claire peut être à sa fenêtre, ajouta-t-il tout bas.

Lazare fit tout ce que son ami lui avait dit. Lorsqu’ils furent dans