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blâme parce que, mal employé, ce n’est le plus souvent qu’un mauvais conseiller de petites faiblesses, et que toutes les concessions qu’on lui accorde deviennent autant d’hommages que l’on rend à son propre égoïsme. Ayons de l’orgueil, à la bonne heure; voilà un sentiment raisonnable où l’on peut puiser des forces réelles. Quant à l’espèce d’amour-propre à laquelle tu te montres fâcheusement enclin, je te le dis franchement, les trois quarts du temps ce n’est que de la dignité en plâtre. J’en prendrai un exemple dans la circonstance actuelle, continua Antoine. Quel bénéfice vas-tu retirer de ce puritanisme exagéré, quoi que tu en dises, avec lequel tu as repoussé les propositions que te faisait ta marraine ? Aucun.

— J’ai protesté, répondit Lazare, contre le rôle de parasite et de subalterne que M. Renaud voulait me faire jouer dans sa maison, et mon refus lui fera comprendre que je ne suis pas la dupe de cette bienveillance hypocrite.

— Eh bien ! le bénéfice est nul à tous les points de vue. Ton refus aura seulement porté atteinte à l’affection que te témoignait ta marraine. Quant à son mari, si les gens qui t’ont vu chez lui parlent de toi avec une intention désobligeante en comparant sa fortune et ta misère, il en sera quitte pour répondre : a Que voulez-vous ? Ce garçon est tellement fier, qu’il ne veut rien accepter de moi. Je ne peux pourtant pas l’aider malgré lui. » Veux-tu que je te dise le fond de ma pensée à ton égard ? ajouta Antoine.

— Continue, puisque tu es en veine, dit Lazare.

— Eh bien ! j’ai peur que tu ne sois disposé à vouloir faire de ta misère un piédestal sur lequel tu montes pour poser devant ta propre vanité.

— Décidément c’est un sermon, murmura Lazare, qui avait rougi. Comme il peut être long, je m’asseois, ajouta-t-il. Allons, prêche-moi sur l’humilité. Tu peux te montrer facilement éloquent, car tu es plein de ton sujet !

Antoine rougit à son tour, et, prenant une chaise, il vint s’asseoir juste en face de Lazare : — Mon cher ami, lui dit-il, je vais t’expliquer mon système. Si l’humilité que tu parais me reprocher y joue un rôle, tu reconnaîtras que ce rôle a son utilité. Cite-moi un exemple où ton amour-propre t’aura servi autrement que pour te procurer une de ces stériles jouissances qui laissent dans l’esprit un germe d’aigreur : je te donne raison sur-le-champ. Tu connais mon but, puisqu’il est le même que le tien. Pour l’atteindre, je pratique la logique que m’enseigne la nécessité. Le jour où j’ai permis à ma grand’mère d’accepter la condition de servante pour que je fusse libre de faire de l’art, j’ai réuni en faisceau toutes les fiertés, toutes les vanités, tous les préjugés de respect humain que l’homme traîne