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mais peu à peu elle perdit le caractère d’âpreté qu’elle avait à son début et ne tarda pas à se terminer par une réconciliation que chacun d’eux souhaitait en même temps qu’il la jugeait nécessaire. Ils pensaient avec raison que toute apparence de contrainte dans leurs rapports alarmerait leur grand’mère, et que son inquiète sollicitude voudrait en rechercher les causes. — Que deviendrions-nous, disaient-ils, si la paix s’éloigne de nous ? où trouver désormais le loisir familier qui permet d’épancher d’un cœur à l’autre les amicales confidences et les encouragemens de l’espérance, si nous n’arrachons pas aussitôt que poussée cette mauvaise herbe de discorde ? — La volonté d’oublier ce débat et le motif qui l’avait fait naître fut mutuelle entre les deux jeunes gens; mais ils avaient prononcé des paroles qui causent une impression souvent aussi lente à s’effacer qu’elle est prompte à se renouveler à la moindre allusion involontaire, de même que des blessures guéries et cicatrisées depuis longtemps se rouvrent quelquefois et réveillent passagèrement une douleur qui, pour n’être pas durable, n’en est pas moins pénible. C’est qu’il est telles discussions où la colère arme la bouche de mots qui font balle et que toute balle fait trou. Aussi, et malgré eux, Antoine et Paul furent-ils quelques mois encore sous l’influence de cet incident que leur grand’mère ignora toujours.

Celle-ci continua ses modestes occupations en ville, et le gain qu’elle en retirait, ajouté à sa petite rente, put suffire provisoirement à entretenir dans la maison la possibilité de vivre, mais d’une existence restreinte, dans de telles habitudes d’économie, que le plus pauvre ménage aurait éprouvé de la difficulté à s’y soumettre.

Nous nous sommes étendu avec quelques détails sur cet intérieur d’Antoine et de Paul, parce qu’il doit être le centre principal autour duquel viendront se grouper les futurs épisodes de cette série, et se mouvoir les nouveaux personnages qu’il nous reste à mettre en scène. Nous croyons devoir rappeler que nous n’écrivons pas un roman, mais seulement une suite de scènes dont l’enchaînement se révélera peu à peu avec assez d’évidence pour que nous puissions nous épargner de longues et pénibles transitions.

Comme nous l’avons dit, la société des buveurs d’eau avait été fondée par Antoine et son frère Paul, associés au peintre Lazare et au poète Olivier. Ce dernier était parmi ses compagnons le seul qui pût mettre quelques ressources certaines au service de ses espérances et de son ambition. Il remplissait les fonctions de secrétaire auprès d’un personnage envoyé en France par un gouvernement étranger pour une mission scientifique qui en abritait peut-être une autre moins officielle. Olivier n’allait chez ce personnage que deux heures par jour, et il était rétribué en conséquence de son travail,