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Espagne est une longue éclipse du génie national. El siglo XVIIIe mato nuestra nacionalidad literaria, s’écrie don Agustin Duran. Ceux qui regrettent pour tous les peuples modernes l’heureuse influence du moyen âge devraient se donner la peine de réfléchir aux destinées de l’Espagne. Le moyen âge, à les entendre, avait les mains pleines de trésors, et la littérature, comme la société politique, aurait enfanté des prodiges si le fatal esprit de la renaissance n’était venu tarir les sources merveilleuses. Il y a malheureusement un fait bien simple qui renverse ces étranges théories, c’est que la renaissance n’a pas pu tuer le moyen âge; le moyen âge était mort depuis longtemps en France et en Angleterre, en Italie et en Allemagne, quand un esprit nouveau vint prendre sa place. Ce fait, qui a trop échappé aux historiens littéraires, est surtout manifeste au-delà des Pyrénées. Partout ailleurs, on a pu croire que la renaissance avait remplacé violemment le moyen âge, et de là les regrets et les plaintes de ces candides esprits qui vont répétant chaque jour : Pourquoi faut-il que le réveil des lettres antiques ait comprimé l’essor de la pensée chrétienne ? Pourquoi le catholicisme n’a-t-il pu réaliser toutes ses promesses ? — Considérez les destinées intellectuelles de l’Espagne, et voyez ce que devient cette illusion d’un paradis perdu. Certes, on ne dira pas ici que la renaissance a tué le moyen âge : de toutes les contrées romano-germaniques, l’Espagne est la seule qui n’ait pas subi l’action de cette littérature ancienne qui donnait à l’Europe entière le signal d’un développement nouveau. En vain quelques savans isolés ont-ils mérité les éloges et les encouragemens d’Érasme, en vain quelques poètes érudits essayaient-ils d’introduire sur la scène les imitations de l’art grec et latin : l’influence de l’antiquité n’y a jamais été comme dans le reste de l’Europe un événement universel. L’Espagne, en un mot, n’a pas eu de renaissance, et le moyen âge, entretenu avec une fidélité obstinée, a pu y faire fleurir et prospérer tous les germes qu’il contenait : qu’est-il devenu ? Il est mort comme partout, comme en Italie, comme en France, comme en Allemagne; il est mort, un peu plus tard, j’y consens, parce que son existence avait été prolongée par le tribunal du saint-office et le gouvernement de Philippe II, mais enfin il est mort, mort naturellement, sans surprise, sans violence, mort d’inanition et de décrépitude, et j’ajoute que, la renaissance n’ayant pas jeté de nouveaux germes, il est mort sans laisser d’héritier.

Ce n’était pas trop des grandes luttes du commencement de ce siècle pour réveiller cette noble race et l’arracher à son funeste isolement. Il y avait alors un chef puissant qui renouvelait l’Europe entière, soit en faisant pénétrer à la suite de ses aigles les principes de 89, soit en provoquant d’héroïques résistances où se redressaient les nationalités endormies. L’influence qu’il eut, sans le vouloir, sur les peuples allemands, il l’exerça aussi sur l’Espagne; au-delà des Pyrénées ainsi qu’au-delà du Rhin, Napoléon fut le terrible initiateur des temps nouveaux. Ces hommes qui nous avaient combattus avec désespoir dans les défilés de leurs sierras nous devaient d’avoir fait cause commune avec l’Europe. L’odieux régime de Ferdinand VI s’efforça vainement d’étouffer l’esprit qui se levait, l’Espagne était associée désormais à l’œuvre de la société moderne, elle avait les mêmes problèmes à résoudre, elle portait dans son cœur le même espoir et le même tourment sublime; ce fut là sa renaissance.