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seraient-ils pas, comme chez nous, développés à peu près dans le même temps ? Et puisque selon M. de Schack les comedias divinas sont bien postérieures aux autos, n’est-il pas naturel de penser que les autos représentent surtout les pièces jouées dans les églises, tandis que les drames, religieux aussi, mais plus compliqués, plus littéraires, et exécutés dans les théâtres, prenaient le nom de comedias divinas ? Que plus tard le nom consacré d’autos ait été appliqué à des œuvres composées pour la scène, surtout par des poètes qui étaient, comme Calderon, la personnification éclatante du moyen âge, — je ne pense pas que ce fait enlève rien à la validité de notre conjecture.

Quoi qu’il en soit, voilà tous les élémens du théâtre espagnol rassemblés par le travail continu des instincts et des imaginations populaires : les successeurs de Torrès Naharro et de Lope de Rueda s’enhardissent d’heure en heure; d’autres essais de théâtres laïques se poursuivent à Séville, à Valence, à Madrid. L’école de Séville est une école savante qui essaie d’imiter le théâtre antique; l’école de Valence cherche aussi des émotions nouvelles en dehors des traditions nationales; mais ni l’une ni l’autre, malgré les hommes de talent qui les soutiennent, ne réussissent à se faire accepter. Partout triomphent l’inspiration irréligieuse et l’inspiration romanesque. Cervantes publie ses Nouvelles qui seront pour ce théâtre plus cultivé ce qu’a été la Célestine pour le théâtre naissant, et les comedias divinas passent de l’ombre discrète du sanctuaire au grand jour de la scène. Ces élémens sont bien confus encore, ainsi que l’attestent les sévères reproches de Cervantes à la littérature dramatique de son temps; mais enfin tout est prêt, tout s’agite; le chaos n’attend plus que le souffle de l’esprit : Lope de Vega et Guillen de Castro, Alarcon et Tirso de Molina, Moreto, Solis et Calderon peuvent paraître.

On s’est beaucoup occupé de tous ces brillans poètes, particulièrement de Lope de Vega. Sans remonter jusqu’aux deux volumes que lord Holland lui consacrait en 1817, sans remonter jusqu’à la biographie qu’un littérateur consciencieux, M. de la Beaumelle, insérait en 1822 dans les Chefs-d’Œuvre des Théâtres étrangers, biographie puisée aux sources et dont M. de Schack s’est plus d’une fois servi, les travaux ne manquent pas en France, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre, sur l’homme que Cervantes appelle le miracle de la nature. Les poètes ses contemporains et ceux qui l’ont immédiatement suivi ont été aussi l’objet de curieuses recherches; les leçons enthousiastes de Guillaume de Schlegel portaient leurs fruits, et le théâtre espagnol du XVIIe siècle, par tout ce qu’il a d’éclatant et de mystérieux, aiguillonnait la curiosité des historiens littéraires. Je ne viens pas répéter ce qui a été dit ici même ou ailleurs à propos de Lope et de ses émules; je veux savoir seulement si le livre de M. de Schack modifie sur quelques points les résultats acquis. L’occasion est bonne à saisir : M. de Schack est sans doute de tous les critiques de notre âge celui qui a pénétré le plus avant dans l’œuvre du poète de Madrid. Je ne sais si Lope de Vega parmi ses contemporains, c’est-à-dire parmi ses admirateurs passionnés, en a compté beaucoup qui aient lu ou vu représenter ses quinze cents drames, ses quatre cents autos, et par-dessus le marché ses innombrables bouffonneries connues sous le nom d’intermèdes; ce que je sais bien, c’est que les trois cents drames qui nous restent du poète, sans parler d’une quinzaine d’autos et d’une courte série