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« L’époque de la majorité de Vadoni approchait, et par conséquent avec elle l’heure fatale où les vœux devaient être prononcés. Le supérieur fit encore tous ses efforts pour ramener à cette détermination, mais il échoua de nouveau. Alors le pauvre garçon fut plongé dans une segreta, c’est-à-dire dans un cachot souterrain, éclairé seulement par une petite lampe placée dans une tête de mort. Sa nourriture se composait de pain et d’eau, et il avait pour tout lit une couche de paille. Pendant la nuit, il était fréquemment éveillé par des bruits de chaînes et par des voix mystérieuses qui le menaçaient de l’éternelle damnation. Le malheureux Vadoni ne put soutenir cette épreuve, il supplia qu’on le retirât de ce séjour de terreur, qui lui était devenu insupportable, et fit toutes les promesses qu’on exigeait de lui. « Dans un mois, dit Vadoni en terminant son récit, je serai majeur et je serai moine ; oui, je sens que toute ma force de résistance est épuisée. Je n’étais pas né pour lutter. Ils m’ont accablé, épuisé, annihilé. Je suis perdu si vous ne me sauvez pas. Je vous aperçus l’autre jour, et un rayon d’espérance illumina mon esprit. Je n’ai dans le monde personne qui puisse me sauver que vous.»

« Hélas ! que pouvais-je faire pour lui, moi, pauvre jeune étudiant sans relations, sans influence et sans argent ? Vadoni avait arrangé dans sa tête tout un plan romanesque que je devais exécuter : je devais lui procurer un déguisement, une échelle de corde, et un passage à bord de quelque vaisseau partant pour l’Amérique. Je sentis immédiatement que tout cela était impossible, et je le lui déclarai. J’essayai de relever son courage, je l’exhortai à la résistance, mais en vain. Il n’y avait plus en lui une étincelle d’énergie. « Je suis perdu sans espoir de salut, s’écria-t-il dans un accès de désespoir. J’avais besoin d’être protégé contre ma propre faiblesse. Pourquoi résisterais-je ? Une demi-heure de cette terrible segreta, je le sens bien, aura raison de toute mon opposition. »

« — Je verrai votre oncle si vous voulez, lui dis-je. Écrivez-lui une lettre, je m’en chargerai ; je plaiderai votre cause de toutes mes forces. — Je le veux, répondit Vadoni avec l’accent du découragement. Demain soir à l’église vous aurez ma lettre. Je n’en espère rien ; que Dieu vous bénisse cependant ! Vous avez été toujours bon pour moi. Comptez sur mon affection. Je serai certainement un mauvais moine, mais jamais, j’espère, un mauvais ami. » Le lendemain soir il m’apporta sa lettre, et le lendemain je quittai mon isolement temporaire, Dieu sait avec quels sentimens. »


Lorenzo porte la lettre au vieux Vadoni. Quelques jours se passent sans qu’il puisse obtenir une audience. À la fin cependant il est admis. — « Vous pouvez juger, monsieur, de la pénible surprise que m’a causée la lettre de mon neveu ; mais depuis j’ai reçu un nouveau message dans lequel je suis heureux de trouver l’expression des sentimens qui lui sont habituels. » En effet, une nouvelle lettre avait suivi la première, et dans cette épître le pauvre Vadoni exprimait les sentimens du plus profond regret pour ce qu’il avait écrit dans un moment d’aberration, il se déclarait tout prêt à entrer dans cet état qu’il avait volontairement choisi. « Il était évident, dit Lorenzo, que