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M. Clarus. M. Dozy est un orientaliste qui défriche vaillamment l’histoire si mal connue de l’Espagne arabe, et bien que son livre mérite souvent de graves reproches, bien que son exposition soit confuse et que ses polémiques révèlent un goût très contestable, il a déployé tant de science, il se fraie sa route avec tant d’audace à travers les ronces et les épines du moyen âge espagnol, qu’il est impossible de ne pas lui marquer une des premières places parmi les romanistes contemporains. M. Clarus joint à une érudition très sûre une âme poétique et pieuse, et l’on sent, à lire ses pages éloquentes, combien il est heureux de mettre en lumière les trésors du catholicisme espagnol au XIIIe siècle. Ce brillant essor de poésie épique et lyrique pour lequel MM. Clarus et Dozy nous fournissent des renseignemens si nombreux, est-il la seule inspiration de l’Espagne au moyen âge ? Non, certes; la littérature didactique, inaugurée avec tant de grâce par Alphonse le Savant et continuée par les chroniqueurs des XIVe et XVe siècles, va nous offrir un de ses plus charmans chefs-d’œuvre, le Comte Lucanor, popularisé par deux traductions, allemande et française. C’est bien encore l’esprit du moyen âge, c’est sa grâce, sa candeur, sa loyauté chevaleresque, avec un sentiment plus fin du monde réel. Déjà cependant l’heure sonne où l’esprit moderne renouvelle toute l’Europe, et il semble qu’on voie luire un rayon de cette lumière plus haute sur la scène où Gil Vicente, Lope de Rueda et Torrès Naharro préparent les triomphes de Lope de Vega et de Calderon.

L’Espagne du XVIe siècle n’est pas étudiée avec moins de zèle que l’Espagne du moyen âge. L’historien qu’il faut citer ici en première ligne est un Allemand, M. Frédéric de Schack. Son Histoire du Théâtre espagnol, malgré les erreurs si graves qui en affaiblissent l’autorité, est le fruit d’une érudition courageuse; antérieure à l’ouvrage de M. Ticknor, elle reste encore un document indispensable, même après les excellens chapitres de l’écrivain américain sur cette brillante école où des poètes tels que Lope et Calderon rassemblent autour d’eux des Alarcon, des Guillen de Castro et des Tirso de Molina. On sait combien le Cours de Littérature dramatique de Guillaume de Schlegel avait déjà éveillé le goût et l’intelligence du théâtre espagnol; on connaît aussi ces traductions si habiles où Gries et Malsbourg reproduisaient, aux applaudissemens de Goethe, les principaux chefs-d’œuvre de Calderon. Le pays de Schlegel et de Gries a bien maintenu son rang : à côté de l’histoire de M. de Schack, nous avons à noter deux volumes d’autos sacramentales de Calderon traduits en vers par M. le baron d’Eichendorf, et un volume de supplément ajouté à la traduction de Gries par une femme d’un talent distingué. La France rivalise encore ici avec l’Allemagne : nous pouvons mettre en regard des travaux de M. de Schack les belles recherches de M. Fauriel sur la Dorothée de Lope de Vega[1], les articles dont M. Magnin a enrichi le Journal des Savans, les excellentes études insérées ici même par M. Louis de Viel-Castel bien avant la publication de l’écrivain allemand[2], et les spirituelles pages où M. Prosper Mérimée apprécie avec tant de finesse

  1. Voyez la Revue du 1er septembre 1839 et du 15 septembre 1843.
  2. Voyez la Revue du 15 mars, 1er mai, 15 juillet, ler novembre 1840, 1er février 1841.