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lettre datée d’Émouy (Amoy) le 6 décembre 1716, que Le Gentil écrivait son chapitre sur le mariage. Peut-être ne s’est-il inspiré lui-même que d’une relation antérieure. Quoi qu’il en soit, le texte de M. Huc ne peut être considéré sur ce point que comme une réimpression.

Sans insister plus qu’il ne convient sur des objections de détail, nous devons nous préoccuper surtout des indications générales que l’on peut tirer du livre de M. Huc. Ces indications confirment celles qui nous ont été fournies sur la Chine dans les nombreux ouvrages publiés depuis le traité de Nankin. Les institutions politiques du Céleste-Empire, profondément altérées par la domination tartare-mantchoue, chancellent sur leurs vieilles bases et menacent ruine, car le principe du gouvernement paternel est incompatible avec l’autorité, nécessairement défiante et jalouse, d’une dynastie conquérante. En même temps la hiérarchie administrative et les mœurs privées périssent dans le naufrage qui engloutit peu à peu les institutions. La centralisation puissante qui pendant des siècles a relié toutes les parties de cette vaste monarchie demeure aujourd’hui sans force, sans prestige : les mandarins sont devenus incapables de commander, et les peuples sont las d’obéir. Enfin, au sein de cette société qui a connu avant nous les bienfaits de la civilisation, qui a accompli tant de merveilles dans l’industrie, et qui aujourd’hui encore est si habile et si ingénieuse dans les combinaisons du commerce, il n’y a plus, à ce qu’il semble, ni religion ni sentiment religieux. Les vieux cultes de l’Orient y sont tombés dans le mépris; la philosophie de Confucius ne représente plus qu’une sorte de littérature historique; le christianisme lui-même, malgré tant d’efforts héroïques, tant de martyres, n’a pu faire circuler au milieu de ces ruines le souffle vivifiant d’une foi nouvelle. Quand on envisage ce triste tableau, on comprend qu’en présence de la démoralisation des classes supérieures et de l’apathie des populations, quelques bandes audacieuses aient levé avec succès le drapeau de la révolte. Peu importe que nous connaissions exactement les principes politiques et les doctrines religieuses proclamées par les chefs de l’insurrection. Il se passera peut-être encore plusieurs années avant la révélation du véritable mot d’ordre qui agite l’empire chinois; mais du moins nous pouvons dès à présent distinguer avec quelque certitude l’origine de cette crise; nous comprenons la rapidité et l’étendue de ses progrès, et M. Huc aura contribué à nous expliquer par ses impressions de voyage l’un des événemens les plus considérables et les plus étranges de l’histoire contemporaine.


CH. LAVOLLEE.