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un traité d’amitié et de commerce. Dans le cours des négociations relatives à ce traité, il pressa vivement le commissaire impérial de plaider auprès du cabinet de Pékin la cause de la religion chrétienne. Cette demande était purement officieuse, car il semblait impossible d’introduire dans la convention commerciale une clause formelle en faveur du christianisme, ou de stipuler un arrangement spécial sur une matière aussi délicate. Ky-ing acquiesça à la proposition, et vers la fin de 1844, il adressa à Pékin une pétition respectueuse, pour appeler la clémence impériale sur les chrétiens « qui ne commettraient aucun délit. » L’empereur approuva la pétition. Dès ce moment, on avait obtenu un point essentiel, à savoir que les chrétiens ne seraient plus persécutés en tant que chrétiens. M. de Lagrené ne jugea point cependant cette concession suffisante : il reprit les négociations, il demanda que l’on définît clairement les droits des catholiques, qu’on autorisât ceux-ci en termes exprès à ériger des églises, à se réunir pour prier, en commun, à vénérer la croix et les images, etc., en un mot à observer librement toutes les pratiques extérieures de leur foi; de plus il insista pour que les édits de tolérance, qu’il savait bien devoir être illusoires s’ils n’étaient pas rendus publics, fussent notifiés officiellement sous le plus bref délai dans toute l’étendue de l’empire. Après de longues discussions, Ky-ing céda, et au mois d’août 1845 il communiqua à M. de Lagrené une dépêche qu’il adressait aux mandarins supérieurs pour être transmise également à tous les fonctionnaires subalternes, et par laquelle il réglait les différentes questions soulevées par l’ambassadeur. Or c’est d’après cette communication de 1845, et non d’après l’édit de 1844 (le seul dont M. Huc fasse mention) qu’il faut apprécier les négociations suivies en faveur des catholiques, et si l’on examine attentivement les pièces qui ont été publiées[1], on reconnaîtra que le négociateur français avait très bien compris la portée des lacunes signalées avec raison par M. Huc dans l’édit de 1844, et qu’il avait, par de nouvelles instances, arraché aux scrupules effrayés de Ky-ing toutes les concessions qu’il était humainement possible d’espérer.

Tel fut le système adopté par l’ambassadeur français dans la conduite de cette grave affaire. M. Huc nous déclare qu’il aurait agi autrement. Dès son arrivée à Canton, il aurait pris pour point de départ de la discussion les atrocités commises contre les missionnaires catholiques martyrisés dans l’intérieur du Céleste-Empire. « Il eût fallu, dit-il, presser vivement le gouvernement chinois sur ce point; le moment était favorable, on eût dû l’acculer, c’était chose facile, dans sa sauvage barbarie, et là exiger impitoyablement de lui une

  1. M. Lenormant a exposé dans le Correspondant la série des négociations engagées en 1844 et 1845. Les documens qu’il a produits, d’après une communication du département des affaires étrangères, répandent une vive lumière sur l’ensemble de la question.