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triste idée de l’espèce. Cependant, s’il est vrai que la vénalité et la corruption ont pénétré profondément à tous les degrés de l’administration chinoise, et qu’au point de vue moral l’autorité a perdu son ancien prestige (ce qui explique en partie, comme je l’ai indiqué plus haut, l’origine et les progrès de l’insurrection actuelle), ce n’est pas à dire pour cela que, sous le rapport intellectuel et physique, la corporation des mandarins se compose en majorité de personnages stupides et grotesques. Les magistrats inférieurs de Sse-tchouen et du Hou-pé ont pu être abasourdis par les procédés très insolites des deux missionnaires, et, dans la crainte de se compromettre au sujet de ces voyageurs affublés de bonnets jaunes, ils ont dû en mainte occasion faire preuve d’une incroyable faiblesse de caractère. Un mandarin dans l’embarras en face d’un Européen n’est capable que de tout céder. Cet incident de rencontre n’empêche pas néanmoins qu’il ne puisse être, au demeurant, distingué de manières, assez instruit, et que, dans l’exercice ordinaire de ses fonctions, il ne possède les facultés intellectuelles que l’on trouve chez les dignitaires les plus corrompus des nations civilisées; en un mot, il n’est pas toujours ridicule. Quant à la beauté ou à la laideur des mandarins, c’est une question de goût : les Chinois ne représentent certainement pas le type de la beauté; mais ils ne me paraissent pas inférieurs à bien d’autres races, et je ne vois pas pourquoi la figure d’un mandarin en Chine serait nécessairement plus laide que celle d’un préfet en France. J’admets cependant que, par suite d’une très mauvaise chance, MM. Huc et Gabet n’aient eu affaire le plus souvent qu’à des magistrats ineptes et très laids. Mon observation n’a d’autre but que de prémunir le lecteur contre l’application générale de ce signalement aux mandarins du Céleste-Empire.

M. Huc n’est guère plus indulgent pour le peuple chinois que pour les mandarins. Suivant lui, les Chinois sont irréligieux, ivrognes, joueurs, débauchés; ils battent leurs femmes, etc. S’ils ont quelques vertus, ce ne sont que des vertus égoïstes. Dans la préface de son livre, M. Huc, après avoir signalé l’optimisme des missionnaires du XVIIe siècle, critique le pessimisme des missionnaires modernes, qui, en représentant la Chine sous des couleurs peu riantes, « ont, sans le vouloir, exagéré le mal. » J’éprouve dès lors moins de scrupule à supposer que lui-même a, sans le vouloir, exagéré les vices des habitans du Céleste-Empire, car je ne vois réellement pas ce qu’on pourrait dire de pis contre l’ensemble d’une nation. Les correctifs ou les circonstances atténuantes admises de temps en temps dans le cours du réquisitoire ne détruisent pas l’impression générale qui doit rester dans l’esprit du lecteur, impression qui n’est rien moins que favorable à cet immense peuple, dont les missionnaires catholiques