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voilà le traitement à coup sûr fort inusité qui, depuis la frontière de la Chine jusqu’à Tching-tou, avait été infligé à ces grands coupables. Il est vrai qu’au bout de cette route semée de roses se dressait le tribunal redouté des juges de Sse-tchouen ; mais, dès leur arrivée à Tching-tou, les prévenus durent être à peu près rassurés. On les conduisit d’abord chez l’un des trois préfets qui se partagent l’administration et la police de la ville. Ce mandarin leur donna une courte audience, et quand il apprit qu’on avait commis l’impertinence de les loger dans des hôtelleries comme de simples mortels, il tança vertement le chef de l’escorte. Après cette entrevue, les missionnaires furent conduits à la résidence qui leur était assignée ; c’était un palais habité par un magistrat de second ordre. On y avait disposé des appartemens très comfortables.

Le lendemain, le préfet invita les missionnaires à dîner. En Chine comme ailleurs, on fait parfois les affaires à table. Tout en veillant à ce que les échansons remplissent fréquemment de vin chaud les petits verres de ses convives, le mandarin, qui avait également invité un de ses collègues, employait tous ses talens de diplomate à convertir la causerie en interrogatoire et à préparer ainsi, inter pocula, le dossier du procès. Les accusés ne furent pas dupes de ce petit manège, et ils surent toujours ramener la conversation vers « la pluie et le beau temps. » Après le dîner cependant, l’entretien présenta plus d’intérêt; mais ce fut des mandarins que vinrent les confidences. On parla du christianisme et de sa situation dans le Sse-tchouen. — Le préfet entra à ce sujet dans des détails dont la précision étonna singulièrement les missionnaires. « Nous pensions bien, dit M. Huc, que les chrétiens, malgré leurs précautions à se cacher, ne pouvaient jamais réussir à déjouer complètement la surveillance de la police et des tribunaux, nous savions qu’ils étaient connus, qu’on n’ignorait pas les lieux et les heures de leurs réunions, qu’on pouvait même assez facilement soupçonner parmi eux la présence des Européens; mais nous étions bien loin de croire que la plupart des mandarins étaient au courant de toutes leurs affaires. A Lhassa, Kichan nous avait déjà annoncé que dans la province du Sse-tchouen nous rencontrerions beaucoup de chrétiens, il nous signala même les endroits où ils étaient en plus grand nombre. Pendant qu’il était vice-roi de la province, il était instruit de tout ; il savait que les alentours de son palais étaient presque entièrement habités par des chrétiens, et de chez lui il entendait le chant des prières, quand on se réunissait aux jours de fête. — Je sais même, ajouta-t-il, que le chef de tous les chrétiens de la province est un Français nommé Ma (Mgr Perocheau, évêque de Maxula) ; je connais la maison où il réside ; tous les ans il envoie des courriers à Canton