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Raphaël, Titien et Corrége, le nom de Rubens est le premier qui se présente à la pensée de tous les hommes éclairés. Si je nomme Titien de préférence à Paul Véronèse, bien que ce dernier soit uni au maître flamand par une parenté plus étroite, c’est que les procédés techniques de Titien ont quelque chose de plus personnel, et offrent par conséquent une valeur historique plus facile à déterminer. Rubens appartient à cette grande famille qui s’accroît lentement, dont tous les membres servent à marquer des époques mémorables dans le développement du génie humain. Je ne le mets pas sur la ligne des grands maîtres italiens, je le place immédiatement après eux. Bien qu’il ait passé huit ans en Italie, il n’est pas douteux qu’Anvers n’ait joué un grand rôle dans le choix de ses modèles. Il avait rapporté de nombreux dessins dont il pouvait faire usage; mais comme il tenait avant tout à l’expression de la vie, tout en consultant ses dessins d’Italie, il peignait d’après les modèles qu’il avait sous les yeux. Or, quoiqu’il soit facile de rencontrer à Anvers et surtout à Bruges d’admirables modèles, quoique le mélange du sang espagnol et du sang flamand offre dans ces deux villes des types accomplis de vigueur et de jeunesse, il faut bien reconnaître que les filles d’Albano, de Frascati, de l’Ariccia, de Tivoli, de Genazzano sont très supérieures aux filles de Bruges et d’Anvers. Par la beauté des lignes, par la noblesse de l’expression, par la fierté du regard, elles dominent de très haut les modèles que Rubens avait sous les yeux depuis son retour d’Italie. Engagé dans une lutte de chaque jour avec la nature, obligé de la consulter à toute heure, il a opéré des prodiges. Personne ne l’a surpassé, personne n’est allé aussi loin que lui dans l’expression de la vie. Si les grands maîtres de l’Italie se placent au-dessus de lui par l’expression de la beauté, sa part est encore assez riche pour assurer l’immortalité de son nom.


GUSTAVE PLANCHE.