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par le bon sens, ne convient pas aux détracteurs de Rubens; ils trouvent plus commode de le condamner comme ignorant, de le maudire comme un fléau, sans aller visiter Anvers et Cologne. Ils ne veulent pas exposer la pureté des doctrines qu’ils professent aux dangers d’une telle épreuve; il est vrai que la logique la plus vulgaire réprouve une telle obstination. Ils déclarent vénéneux le fruit qu’ils refusent de goûter; mais pourquoi le goûteraient-ils, puisqu’ils savent d’avance que c’est un poison ? Et qu’on ne prenne pas nos paroles pour un jeu d’esprit : si je donne à la discussion la forme de la raillerie, c’est qu’il est difficile de garder son sérieux quand on entend dire que Rubens ne sait pas dessiner.

En 1620, Marie de Médicis, s’étant réconciliée avec son fils Louis XIII à Angoulême, voulut consacrer cet heureux événement dans une suite de tableaux destinés à décorer son nouveau palais du Luxembourg. A la recommandation du baron de Vicq, ambassadeur des Pays-Bas à Paris, elle fit choix de Rubens. Cette précieuse collection est aujourd’hui placée dans la galerie du Louvre. A coup sûr, tout n’est pas à louer dans cette série de compositions; il y a plus d’un épisode que le goût ne saurait approuver. Le mélange des idées chrétiennes et des idées païennes est un caprice au moins singulier. Je suis loin pourtant de partager la colère des historiens qui blâment d’une manière absolue l’emploi de l’allégorie. Je doute fort que la représentation littérale des faits eût fourni au peintre vingt compositions d’un puissant intérêt. Si l’allégorie envisagée d’une façon générale offre au pinceau de nombreux dangers, au spectateur plus d’une énigme à deviner, on ne peut nier pourtant qu’elle ne serve à poétiser des faits souvent très prosaïques. Marie de Médicis trouvait dans sa vie le sujet d’une épopée, Rubens n’était pas tout à fait du même avis. Il ne croyait pas pouvoir réaliser le vœu de la reine-mère sans le secours de l’allégorie. S’il s’est parfois laissé entraîner à des inventions bizarres, qui ne se comprennent pas facilement sans la lecture du programme, il faut reconnaître cependant que la biographie de Marie de Médicis, prise dans son ensemble, se recommande par la grandeur, l’éclat et la nouveauté. Je n’essaierai pas de justifier la présence de Neptune à Marseille en face de l’archevêque; mais les admirables sirènes qui se jouent au milieu des flots, dont les épaules et les hanches révèlent tant de puissance et de jeunesse, leur poitrine palpitante où la lumière ruisselle, leurs yeux ardens, leurs narines dilatées et voluptueuses qui appellent le désir, les tritons qui leur font cortège, seront toujours un sujet d’étonnement et d’étude pour ceux qui aiment la peinture. Que Neptune et l’évêque de Marseille soient un peu étonnés de se rencontrer, je ne le conteste pas; mais comment aurais-je le courage de condamner le caprice auquel