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Rubens mourut à l’âge de soixante-trois ans, d’un accès de goutte remontée. Quelques jours avant sa mort, sentant sa fin approcher, il écrivait à son compatriote Duquesnoy, qui a fait pour Saint-Pierre de Rome la statue de saint André : « Vostre gloire et vostre célébrité, monsieur, rejaillissent sur notre nation entière. Si mon âge et la goutte funeste qui me dévore ne me retenaient ici, je partirais à l’instant et irais admirer de mes propres yeux des choses si dignes d’éloges; mais, puisque je ne puis me procurer cette satisfaction, j’espère du moins avoir celle de vous revoir incessamment parmi nous, et je ne doute pas que notre chère patrie ne se glorifie un jour des ouvrages dont vous l’aurez enrichie. Plût au ciel que cela arrive avant que la mort qui va bientôt me fermer les yeux pour jamais me prive du plaisir inexprimable de contempler les merveilles qu’exécute votre main habile, que je baise du plus profond de mon cœur! "(Anvers, 17 avril 1640.) » La crainte exprimée dans cette lettre ne fut que trop tôt justifiée. Rubens expirait le 30 mai 1640; on lui fit de magnifiques funérailles : magistrats, clergé, noblesse, bourgeoisie, la population tout entière suivit son cercueil jusqu’à l’église Saint-Jacques, où il fut placé dans le caveau funèbre de la famille Fourment, et trois jours après on célébra en son honneur un service dont la pompe eût flatté l’orgueil des plus fières familles.

C’est là certes une vie bien remplie. Cet homme prodigieux n’était pas demeuré un seul jour inactif. Il entretenait une correspondance avec les hommes les plus éminens de l’Europe. Comme s’il eût pris pour guide le mot de Charles-Quint sur les hommes qui connaissent à fond plusieurs langues, il avait appris de bonne heure et il parlait familièrement le flamand, l’anglais, l’allemand, le français, l’italien, l’espagnol et le latin. Il avait étudié avec une égale ardeur presque toutes les parties de la science humaine; il était peintre avant tout, mais parlait en homme éclairé sur les questions les plus diverses. Malgré le nombre immense de ses œuvres, il n’est pas vrai qu’il se soit abandonné aux hasards de l’improvisation, comme se plaisent à le répéter tant d’esprits frivoles. La méditation ne lui était pas inconnue, et s’il a savouré toutes les joies de la puissance créatrice, il s’était préparé à cette formidable activité par de longues études, par la solitude et la réflexion. Produire était pour lui un bonheur de tous les instans; mais il avait acheté ce bonheur et ne l’avait pas rencontré sur sa route. S’il avait reçu du ciel le génie, il l’avait fécondé par un travail opiniâtre. Il avait interrogé d’un œil avide tous les maîtres de l’école italienne. Il n’avait rien négligé pour leur dérober leurs secrets, et embrassait dans sa pensée l’histoire entière de l’art, depuis Phidias jusqu’à Michel-Ange. Il ne faut pas d’ailleurs se méprendre sur les limites de sa fécondité. Quelle que