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peinture, s’il faut en croire ses biographes, était considéré par les courtisans de Charles Ier, comme une dérogation à ses fonctions diplomatiques. Un bel esprit de la cour, fort entiché de sa race, se trouvant un jour dans son atelier, lui aurait dit : « Monsieur l’ambassadeur, à ce que je vois, se délasse quelquefois de ses graves fonctions en faisant le métier de peintre ? — Non pas, aurait répondu Rubens, je me délasse de la peinture en faisant l’ambassadeur. » Quoi qu’on puisse penser de l’à-propos de cette réplique, il est à croire que le peintre ne fut pas très flatté de se voir ainsi traité.

Revenons aux travaux qu’il n’aurait jamais dû quitter. Les biographes nous apprennent de quelle manière il partageait son temps. Il se levait de très bonne heure et allait toujours entendre la première messe. Était-ce de sa part piété sincère ou acte de courtisan ? La dernière hypothèse est celle qui offre le plus de vraisemblance. La messe entendue, il se mettait à l’ouvrage jusqu’à midi. A midi, il dînait, suivant l’usage de son temps; en quittant la table, il reprenait sa palette, sans éprouver le besoin de se reposer après son repas, car il était très sobre par tempérament et par calcul : il savait qu’une nourriture trop abondante entrave l’exercice de l’intelligence. Il travaillait habituellement jusqu’à cinq heures, puis il choisissait dans ses écuries un des nombreux chevaux qu’il avait achetés du fruit de son travail ou reçus en présent, et allait se promener hors de la ville pendant une heure ou deux. Dans ses promenades solitaires, il méditait à loisir ses œuvres futures ou contemplait le paysage et observait tous les accidens de la lumière décroissante. Ce fut pendant une de ces courtes absences que ses élèves, ayant obtenu, à force de prières, du gardien de son atelier la permission de voir une œuvre inachevée, effacèrent, dans leurs jeux étourdis, la tête et la draperie d’une Vierge. Consternés de leur faute, ils se consultaient pour aviser aux moyens de la réparer. Bientôt ils reprirent courage, et d’une voix unanime ils décidèrent que Van Dyck était seul capable de repeindre la tête et la draperie effacées. Van Dyck se rendit aux vœux de ses camarades et justifia pleinement leur confiance. Le lendemain, Rubens reprit son œuvre inachevée sans se douter qu’Antoine y avait mis la main, et plus tard, lorsqu’il le sut, il oublia de gronder ses élèves.

Parmi les biographes de Rubens, plusieurs, au lieu d’attribuer sa prodigieuse fécondité à l’irrésistible entraînement de son génie, ont voulu expliquer par l’avarice, par la cupidité, le nombre incroyable de ses ouvrages. Sa vie tout entière me semble démentir cette accusation ou du moins la réfuter : il vivait splendidement, menait un train de prince, et sa bourse n’était jamais fermée à ses amis. Ses nombreux traits de générosité envers ses élèves et même envers ses