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Un jour, Jean de Bragance, qui fut plus tard roi de Portugal, invita Rubens à venir lui rendre visite à sa maison de plaisance de Villa-Viciosa. Rubens partit avec un nombreux cortège de seigneurs espagnols et flamands. Le futur roi, en apprenant de quelle nombreuse escorte il était accompagné, lui dépêcha un de ses courtisans pour lui témoigner son regret de ne pouvoir l’attendre; il était, disait-il, rappelé à Lisbonne par des affaires de la dernière importance. En réalité, la seule avarice avait dicté ces excuses mensongères; il craignait d’avoir à défrayer trop de monde. Comme le messager de Jean de Bragance offrait à Rubens une bourse de cinquante pistoles pour les dépenses de son voyage : « Remerciez son altesse, répondit en souriant l’ambassadeur, j’ai pris mille pistoles avant de me mettre en route. »

Sa dernière mission à La Haye fut marquée par un épisode fâcheux où son orgueil fut cruellement éprouvé. Comme il se rendait à son poste avec les instructions écrites que l’archiduchesse lui avait confiées, la noblesse flamande réclama énergiquement contre sa nomination, et le duc d’Arschot fut chargé de le remplacer. Rubens devait lui remettre ses instructions. A cette occasion, le duc lui écrivit une lettre qui nous a été conservée, et qui est un véritable modèle d’impertinence, sinon de beau style : « Je m’étonne, lui dit-il, que vous ayez pris la licence de m’écrire, au lieu de venir me trouver en personne à la taverne où je suis allé deux fois pour vous attendre. N’oubliez pas à l’avenir la distance qui sépare les gens de votre sorte des gens de la mienne. » Rubens dévora cet affront et remit ses instructions. Il avait été anobli par Philippe IV, et nous avons ses armoiries; mais il n’était que chevalier, et le duc d’Arschot n’ignorait pas que tous les ancêtres de Rubens, depuis 1350 jusqu’à son aïeul, avaient été tanneurs, que son aïeul était épicier, que son père, Jean Rubens, était le premier qui eût exercé une profession libérale. Un roturier d’une roture si avérée pouvait-il remplir des fonctions diplomatiques ? Le duc d’Arschot était de trop bonne maison pour le croire. Le jour où il reçut cette lettre impertinente, Rubens comprit, mais trop tard, qu’il aurait dû, pour sa gloire et sa dignité, rester peintre et ne pas se mêler de diplomatie, puisque sa capacité reconnue et les titres de noblesse qu’il avait reçus du roi d’Espagne n’effaçaient pas aux yeux du duc d’Arschot sa qualité d’intrus. Son ambassade en Angleterre fut couronnée d’un plein succès : il réussit à nouer une alliance entre les cours de Londres et de Madrid; mais, dans cette occasion même, malgré les honneurs dont il fut comblé, il dut comprendre qu’on ne le trouvait pas d’assez bonne maison, car, lorsqu’il eut posé les bases de l’alliance, un autre ambassadeur, un diplomate de vieille noblesse fut chargé de signer le traité. Son talent même pour la