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de Mantoue résolut d’attacher le jeune peintre à son service, et lui fit des offres brillantes qui furent acceptées. La galerie du prince renfermait un grand nombre de tableaux de Jules Romain ; aussi les biographes n’ont-ils pas manqué d’attribuer à Jules Romain la hardiesse qui éclate dans les compositions de Rubens, comme ils attribuent à Otto Venius le goût de son élève pour l’allégorie. Pour ma part, je ne crois pas que le maître mantouan ait joué un grand rôle dans le développement du génie de Rubens, et je n’arrive pas à saisir entre eux un trait de parenté. Jules Romain, livré à ses propres forces, ne possède ni une véritable abondance, ni une véritable hardiesse. Le Combat des Géans, qui décore une des salles du palais du T, si vanté par ses contemporains, étonne par sa bizarrerie, sans exciter un seul instant l’admiration. Le spectacle d’une telle œuvre n’était, pour Rubens, ni un sujet d’émulation, ni une source d’enseignement. Pour expliquer la fougue du maître flamand, il n’est pas besoin de recourir à Jules Romain. Venise et Rome nous l’expliqueraient, si les compositions qu’il a prodiguées ne portaient le caractère de la spontanéité. Titien et Paul Véronèse lui offraient la splendeur et l’harmonie, le Tintoret lui montrait la hardiesse poussée jusqu’à la témérité. Plus tard, quand il vit Rome, la chapelle Sixtine lui révéla jusqu’où peut aller la hardiesse justifiée par une science profonde : en présence de Michel-Ange, le souvenir du Tintoret n’était plus un danger. Nous savons, à n’en pouvoir douter, que Rubens étudiait, en Italie, toutes les écoles avec la même ardeur, quoique la nature de son génie l’entraînât vers l’école vénitienne. A Milan, il copiait la Cène de Sainte-Marie des Grâces, et s’il ne dérobait pas à Léonard le secret de la beauté suprême, il n’étudiait pas ses œuvres avec moins d’assiduité que les œuvres de Titien et de Paul Véronèse. Dans l’espace de huit ans, — 1600-1608, — il visita toutes les villes d’Italie qui pouvaient lui offrir des leçons. Il était à Gênes, comblé d’honneurs; la noblesse et la bourgeoisie se disputaient ses œuvres, quand il fut rappelé à Anvers par une lettre qui lui apprenait la maladie de sa mère; il arriva trop tard pour lui fermer les yeux.

La mort de Marie Pipeling fut pour Rubens un coup cruel; il se retira dans le couvent de Saint-Michel, où sa mère avait été ensevelie, et y demeura quatre mois pour se livrer tout entier à sa douleur. Il ne pouvait oublier tout ce qu’il devait à cette excellente femme. C’était elle, en effet, qui avait surveillé les premières années de son éducation, et qui, par l’habileté de ses démarches, avait su réunir les débris du patrimoine confisqué. Quand la douleur du fils reconnaissant fut un peu apaisée, il revint à ses études chéries, aux travaux qui devaient fonder sa renommée. Grâce à la vigilance