Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

correspondance de Marie Pipeling, il demeure établi qu’en 1577, c’est-à-dire l’année même de la naissance de Pierre-Paul Rubens, Jean Rubens habitait la ville de Siegen, non qu’il eût choisi librement cette résidence, mais parce qu’elle lui avait été assignée par la volonté de Guillaume le Taciturne, après deux ans de captivité dans une forteresse. Quelle était la cause de cette captivité, de cette résidence forcée dans la ville de Siegen ? M. Bakhuisen nous l’apprend pièces en main. Jean Rubens s’était laissé séduire non par la beauté, mais par le rang d’Anne de Saxe, mariée à Guillaume le Taciturne. Il paraît encore démontré que la princesse fit les premières avances à l’échevin d’Anvers. L’intrigue fut découverte, et le mari trompé, d’accord avec la famille de sa femme, résolut d’étouffer le scandale en séparant les deux amans.

Jean Rubens expia durement sa faiblesse, et fut même menacé de la peine capitale. Marie Pipeling, qui demeurait à Cologne lorsqu’il se rendit coupable d’infidélité, intercéda pour lui pendant toute la durée de sa captivité, tantôt près du duc de Nassau, tantôt près de Guillaume le Taciturne, et M. Bakhuisen a publié de nombreux extraits de ces lettres suppliantes, qui demeurèrent toutes inutiles; car Jean Rubens n’aurait pas sauvé sa tête et recouvré sa liberté sans la mort d’Anne de Saxe, dont Guillaume s’était séparé pour se remarier. Les lettres de Marie Pipeling sont remarquables par l’expression du dévouement conjugal; elle pardonne généreusement à son mari en songeant aux années de bonheur qu’elle lui doit et aux enfans nés de leur union. La dernière lettre, qui sollicitait pour Jean Rubens le droit de rentrer dans sa patrie, ne lui appartient sans doute pas tout entière, quoiqu’elle soit signée de son nom. Il est plus que probable que Jean Rubens y mit la main, car le ton des lettres précédentes ne s’accorde pas avec le ton de celle-ci. Toutes les prières adressées par Marie Pipeling à Guillaume le Taciturne se réduisent en effet à une seule : —-Pardonnez-lui comme je lui pardonne. — La dernière lettre, sauf quelques lignes où se retrouve l’accent de la tendresse et du dévouement, n’est qu’un vain étalage d’érudition, plus capable d’irriter que d’apaiser le mari trompé. Pour émouvoir, pour attendrir, pour désarmer Guillaume, Marie Pipeling lui rappelle les noms de tous les hommes illustres qui ont été trompés par leurs femmes et qui ont usé de clémence. L’argument n’est pas heureux, et M. Bakhuisen pense avec raison que Guillaume n’a pas lu cette dernière lettre, si savante et si ridicule.

Après avoir lu les documens dont je viens de parler, il n’est plus permis de placer à Cologne la naissance de Pierre-Paul Rubens, car il est prouvé qu’en 1577 Jean Rubens n’avait pas encore obtenu la faculté de quitter Siegen, et devait, à la première réquisition, se