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l’ethnographie moderne. Tous les amis des sciences s’intéressèrent à leur publication, et chacun essaya d’y contribuer de son mieux. Aussi l’ouvrage n’est-il, à vrai dire, qu’une suite de dissertations sur les diverses parties de cette science. Outre des mémoires inédits de M. Morton sur l’Origine du genre humain, les Dimensions du cerveau chez l’homme, etc., il renferme un mémoire de M. Usher intitulé Géologie et Paléontologie dans leurs rapports avec l’origine des hommes, une notice de M. Patterson sur Morton, un travail de M. Agassiz et divers essais de M. Nott sur la physiologie et l’anatomie, de M. Gliddon sur l’archéologie et la Genèse. Parmi les preuves les plus négligées jusqu’ici de la diversité humaine, on doit citer celles que renferme un essai de M. Agassiz sur la Distribution naturelle du règne animal. Au premier abord, les animaux paraissent jetés sur la terre d’une façon irrégulière, et leur distribution ne semble pas soumise à des lois fixes et permanentes. La chaleur a été longtemps considérée comme l’unique cause de leur distribution géographique. Il n’en est rien cependant, et le monde peut être divisé en provinces zoologiques, sans que la température soit le seul guide de cette division. Ainsi la faune du côté occidental de l’Europe n’est pas celle du bassin de la mer Caspienne; les animaux qui habitent l’ouest de l’Amérique ne se trouvent pas dans la partie orientale de ce continent, quoique la latitude soit la même. M. Agassiz a remarqué que ces divisions zoologiques correspondent aux divisions établies par l’observation des types humains. Partout où la faune est la même, les hommes appartiennent à la même race; lorsqu’elle varie, ils varient avec elle à peu près dans les mêmes limites. Les deux types les plus profondément séparés sont l’Alfouroux et l’Européen, et l’Australie ne renferme guère que des édentés et des marsupiaux de fourmilier, le kanguroo, l’ornithorinque, etc.), mammifères presque inconnus dans nos contrées. La race mongole au contraire, qui présente avec la nôtre d’assez grandes analogies, est entourée d’animaux qui ressemblent fort à ceux que nous avons sous les yeux. Le Français ne diffère guère plus du Chinois que la chèvre (capra siberica) ne diffère du bouquetin (capra ibex), le yak du bœuf, l’ours du Thibet de l’ours brun, l’argali du mouton, etc. Ces divisions ne sont pas accidentelles, et chaque peuple n’a pas choisi en s’établissant dans un pays les animaux propres à satisfaire ses besoins ou ses caprices.

On a la preuve certaine, par les travaux de M. Ch. Pickering, vérifiés naguère par M. de Rougé, que depuis plus de cinq mille ans la faune d’Egypte n’a pas varié. Les travaux de M. Owen ont même montré que, dans les périodes zoologiques passées, les espèces animales de chaque contrée présentent des caractères semblables à ceux des espèces actuellement vivantes. La nature en effet a opposé aux migrations des animaux des difficultés insurmontables; elle les a pourvus de l’instinct, force inconnue et incompréhensible qui les attache au sol qu’ils habitent, à ces centres de création si bien démontrés par M. Milne Edwards. La mer aussi se divise en provinces zoologiques invariables, quoiqu’elles ne soient pas séparées par des obstacles matériels. Des croisemens multipliés peuvent seuls affaiblir cet instinct. Les hommes eux-mêmes sont loin d’en être exempts, et il faut, suivant M. Agassiz, admettre également pour eux des centres de création. Il est vrai que l’intelligence l’emporte parfois sur l’instinct et donne aux hommes une certaine mobilité; mais la nature physique impose à cette mobilité des bornes assez étroites.