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première résistance à la tyrannie et cette évasion sont de l’année 1818. Quatorze ans plus tard environ, l’auteur échappait à un plus redoutable carcere duro et avait essayé de résister à des tyrannies plus sérieuses que celles du bon chanoine : il ne lui fallut pas longtemps du reste pour acquérir la certitude que le monde est peuplé de despotes. Où ne rencontrait-il pas la tyrannie ? Il la rencontrait au foyer paternel, où trônait son père, despote capricieux, désagréable, homme charmant d’ailleurs et d’une politesse remarquable toutes les fois qu’il était hors de chez lui. Il la rencontrait au collège sous une triple forme, sous la forme de l’esprit exclusif de caste dans la personne d’un de ses condisciples, le prince d’Urbino, — sous la forme de l’abus de la force physique dans la personne d’un autre élève, Anastase, — sous la forme de l’abus de pouvoir et de l’injustice morale dans la personne des professeurs. Lorenzo résista successivement à ces trois tyrannies, il finit par triompher des trois et même par établir une république éphémère ; mais cette résistance opiniâtre lui coûta son meilleur ami : triste présage pour l’avenir et qui ne devait que trop se réaliser !

M. Ruffini a longuement insisté sur les années de son enfance, et nous ne pouvons lui en faire un reproche. Qui n’aime à revenir vers ces années où tout était plus beau et où l’on sentait plus vivement ? Ce n’est même que dans l’enfance que les impressions sont vives. Malheur à celui qui à cet âge n’en a pas fait provision pour toute sa vie ! C’est l’époque où nous avons eu la notion la plus nette des choses, l’époque où nous avons vu les neiges les plus blanches, les rayons de soleil les plus dorés, les froids les plus piquans, les chaleurs les plus accablantes. D’autres sensations arrivent avec les années, des sensations artificielles, compliquées, presque abstraites et métaphysiques, qui gênent la liberté de nos sens, et nous empêchent de sentir comme autrefois. Et d’ailleurs cette vie des enfans n’est-elle pas, sous une forme innocente, exempte de périls, la répétition du drame ennuyeux, lamentable et fatigant qu’ils auront à jouer plus tard d’une manière sérieuse ? Ces coteries d’enfans qui se font opposition les unes aux autres, qui ont chacune leurs grands hommes, que sont-elles, sinon le symbole de cette force d’association qui sert de base à la société en même temps qu’elle crée le mensonge social, et qui fait que dans le monde une douzaine d’imbéciles qui se soutiendront mutuellement auront plus d’influence et de pouvoir que l’homme le plus remarquable ? Ces combats à coups de poing livrés pour des points d’honneur puérils ne sont-ils pas de véritables duels ? En vérité, toute la vie future de Lorenzo est contenue dans sa vie de collège : qu’importe que l’on résiste au vice-recteur ou au gouvernement piémontais ? Tous ces amis qui fondent une république à