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— Eh bien ! il faut venir avec moi à l’hôpital ; il y a là une vieille femme mourante qui vous demande.

Ma terreur subite était passée, mais pour faire place à un étonnement qui n’était guère moins pénible.

— Ah !… enfin… le voilà donc… mon Tanisse ! Je savais bien,… moi,… qu’il était… ici !

C’était la grande Hirmine. Je m’élançai à son cou d’une telle violence, qu’elle ne vint pas à bout de terminer sa phrase. Oui, la grande Hirmine, pâle comme une morte et décharnée comme un squelette, dans un lit d’hôpital à Berne ! Je ne sais combien de temps je restai à l’étreindre en sanglotant dans ses bras ; seulement il vint un moment où je sentis ses pauvres lèvres, déjà presque glacées par la mort, balbutier avec effort sous les miennes :

— Allons !… allons !… voyons !… Ta… Ta.. Allons !… voyons !

Je relevai brusquement la tête en essuyant une larme, et je m’écriai : — Mais enfin, pour l’amour de Dieu, comment se fait-il donc que vous soyez là ?

— Allons… voyons. Ta… Ta ;… voyons, voyons ; laisse-moi… d’abord… te regarder… un peu… Pour que… je sache… si c’est bien toi ;… et puis… après… on te dira la chose.

La pauvre femme rejeta en effet un peu sa tête en arrière, comme pour mieux me voir ; puis, après un instant de contemplation muette, ses lèvres, toujours balbutiantes, se mirent à dire :

— Pauvre Ta… Tanisse… va !… Oui, ma foi, c’est bien lui ; mais il a bien souffert… Pas vrai ? Ça se voit. Moi, vois-tu… je m’y connais. Mais enfin… le voilà… ça suffit… Il ne me reste plus… à moi… qu’à te dire… les choses… et puis, après… je plierai… boutique… Ah çà ! mais, dis donc, Tanisse, c’est un pays d’ours… par ici. C’est tout comme… les Autrichiens en 1815. Écoute… je vais te dire… les choses. Vois-tu, j’ai donc été malade… que j’ai cru un instant… que c’était le bout… Pour lors, vois-tu, j’ai dit.. » moi d’abord… je veux encore… revoir une fois… mon Tanisse ;… puis après… bonsoir ! Écoute, je veux te dire une chose, vois-tu ; mais il ne faut pas que tu fasses… la bête. Vois-tu, nous avons eu tous les malheurs à la fois… là-bas… depuis toi. Toutes ces histoires… de procès nous ont donné le coup, à la Pélagie… et à moi…

— Ma mère ! ma mère ! que fait-elle, ma pauvre mère ?

— Vois-tu, Tanisse, elle fait… comme je ferai tout à l’heure.. » elle se repose.

— Morte ! Oh ! mon Dieu ! ma mère !

— Vois-tu… sois raisonnable, Tanisse !… Voyons, écoute-moi donc… mon petit… Je n’ai peut-être pas de temps à perdre pour te dire toutes… les choses. Pour lors… vois-tu, c’est moi qui l’ai