Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à égale distance de Gênes et de Nice, le meilleur des hommes, mais le plus ennuyeux des oncles et le moins amusant des précepteurs. Les occupations de sa vie étaient aussi peu variées que les occupations de son esprit ; les unes et les autres se résumaient en une seule : la récolte des olives et la préparation subséquente de ces fruits. Les rares instans où la pensée des olives n’absorbait pas toutes les facultés de son intelligence étaient employés par le bon chanoine à injurier la France et les Français. « Ce que la France ou les Français avaient fait au vieux chanoine, je ne le sais pas, nous dit son neveu, mais je me rappelle une certaine anecdote qu’il répétait sans se lasser, avec un plaisir toujours nouveau et un remarquable contentement de lui-même. Se trouvant une fois dans le voisinage du Var, là où cette rivière sépare les états sardes de la France, il avait traversé le pont, était entré sur le territoire français, avait fait la nique à la France, et s’en était retourné triomphant. Que la France se tire de là comme elle pourra ! »

La maison du chanoine était assez triste. La cuisinière, la vieille Margherita, personne sèche, revêche, presque méchante, d’une économie qui frisait l’avarice, aurait volontiers, par dévouement pour la bourse de l’oncle, réduit à la portion congrue le neveu, qu’elle regardait comme un intrus. Le professeur de latin, jeune abbé, long, râpé, émacié, portant sur le visage les traces de ses jeûnes forcés, était un de ces décens affamés que les pays du midi ont toujours produits en abondance. De tels personnages n’étaient pas faits pour jeter beaucoup de variété dans la vie du jeune Lorenzo, qui aurait joyeusement préféré à leur monotone compagnie celle du moindre enfant du voisinage. Un soir, au moment du souper, un joyeux vacarme se fait entendre dans la rue que le chanoine habite. Au carillon bizarre des clochettes se mêle le son grotesque de casseroles et de poêles à frire, que frappent à tour de bras les voisins en belle humeur. Un bruit exhilarant de pelles et de pincettes se marie harmonieusement à la voix criarde du fifre et à la voix rauque et sourde du tambourin ; des chansons bouffonnes et des braiemens d’âne, des quolibets féminins et des cris d’enfans, complètent cette agréable musique. Lorenzo n’y tient plus : il sort sur la pointe du pied, et va prendre part au charivari dont la ville régale un veuf remarié. La punition du coupable ne se fait pas attendre : il est ramené à la maison avunculaire et condamné au carcere duro, c’est-à-dire à l’emprisonnement dans l’office noir, avec privation de souper. Ce supplice dure plusieurs semaines, au bout desquelles Lorenzo, ennuyé et affamé, sort de sa prison et de la maison de son oncle, prend à pied la route de Gênes, où il arrive chez son père, qui quelques jours après le renvoie au collège royal. Ce carcere duro, cette