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nous servir de l’expression consacrée, vivait dans le siècle. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’elle ait demandé au Corrège pour la décoration de son réfectoire la Chasse de Diane, des faunes des satyres et des nymphes, Hâtons-nous d’ajouter qu’il n’y a rien dans ces compositions dont puissent s’alarmer les esprits les plus scrupuleux : c’est la mythologie païenne prise du côté gracieux, mais non du côté lascif. Le goût le plus pur n’a pas un reproche à exprimer La Chasse de Diane, qui forme le sujet principal, est une scène ingénieuse et animée, où respire le sentiment le plus vrai de l’antiquité. En contemplant la chaste déesse sur les murs du couvent de Saint-Paul, on croit avoir devant ses yeux un des tableaux dont Pline l’Ancien nous a transmis la description dans le trente-cinquième livre de son Histoire. Il y a dans ce poème païen tant d’abondance et de spontanéité, que les noms de Parrhasius et de Timanthe se présentent au souvenir du spectateur. Il semble que l’invention de cette fresque vivante n’ait rien coûté à l’imagination de l’auteur. Il faut la regarder à plusieurs reprises pour comprendre tout ce qu’il y a de savant et de médité dans le choix des attitudes et des vêtemens, dans l’expression des physionomies. Antonio n’avait que vingt-quatre ans lorsqu’il peignit la Chasse de Diane dans le réfectoire de Saint-Paul, et pourtant il y a dans cette composition une élégance, une sévérité qui révèlent un savoir consommé. Pour concevoir, pour exécuter une telle scène, il faut évidemment quelque chose de plus que la pratique matérielle du métier; il faut avoir cultivé son esprit d’une manière générale, et s’être préparé à l’accomplissement de cette tâche délicate par des études littéraires. Lanzi croit que le Corrège, pour décorer le réfectoire de Saint-Paul, eut recours aux conseils d’Orselini, dont la fille demeurait au couvent. Il me paraît plus naturel de penser qu’Antonio trouva dans sa propre mémoire tous les renseignemens dont il avait besoin. L’éducation qu’il avait reçue le dispensait d’appeler à son secours l’érudition d’Orselini. Quant au reste de la décoration, je ne crains pas de la recommander à tous les peintres comme le type du goût le plus pur, de la sobriété la plus exquise. Les têtes d’enfans et de jeunes filles imaginées par Antonio étonnent et ravissent tous les yeux par l’éclat de la couleur et la vivacité du regard. Il est impossible de rêver des physionomies plus riantes, des lèvres plus fraîches, des joues plus vermeilles : c’est la vie même prise sur le fait et reproduite avec un rare bonheur.

Au-dessus de ces figures charmantes, dont le souvenir ne s’efface pas, et qui sont vues à mi-corps, le Corrège a placé des scènes païennes qui rappellent à tous les esprits éclairés le style des pierres gravées que la Grèce et l’Italie antiques ont léguées à notre admiration. Quoiqu’il n’eût pas visité Rome, il est évident qu’il s’était nourri avec