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qui n’était pas une tâche facile, car il avait quatre enfans, mais il n’était pas en mesure de leur laisser un brillant héritage.

Quant au dessin conservé aujourd’hui dans la bibliothèque Ambrosienne et annoté par Resta comme représentant la famille du Corrège, il ne saurait être invoqué comme un argument en faveur de l’anecdote rapportée par Vasari, car ce dessin représente un homme d’un âge avancé, une femme encore jeune, une jeune fille et trois garçons pieds nus. Or nous savons par Pungileoni que le Corrège n’a jamais eu qu’un fils, et que ses trois autres enfans étaient des filles. On ne peut donc citer ce portrait de famille comme un document sérieux.

Par cette rapide discussion, nous sommes amené à conclure qu’Antonio Allegri n’a connu ni la misère ni la richesse. Il n’est pas mort exténué de fatigue pour avoir porté un fardeau dont il aurait dû charger une bête de somme, il a vécu de son travail, et grâce à son énergie il a pu soutenir sa famille; mais il n’a jamais connu les douceurs du loisir, la joie du repos après la tâche accomplie. Toute sa vie n’a été qu’un labeur sans relâche, tous les documens relevés par Tiraboschi et Pungileoni nous autorisent à l’affirmer. Si l’on compare le nombre et l’importance des œuvres qu’il a exécutées à la durée de sa vie, on arrive à comprendre qu’il n’a jamais dû mériter le reproche d’oisiveté. Une fois engagé dans la carrière qu’il avait librement choisie, il ne s’est pas arrêté un seul jour. Son unique délassement était la variété même de ses travaux. Il renouvelait ses forces en appliquant son imagination et son pinceau à des sujets tantôt graves, tantôt gracieux, tantôt chrétiens, tantôt païens. Il n’a jamais eu l’occasion de se laisser énerver par le bien-être, par la perspective d’une longue suite de jours assurés à sa famille sans qu’il fût obligé de se remettre à la besogne. Son génie ne s’est jamais endormi dans l’inaction. Quant à sa vie domestique, nous n’en savons rien. Nous aimons à croire que Girolama Merlini n’a rien fait pour troubler la vie de son mari.

Nous connaissons le chiffre des sommes reçues par Antonio Allegri pour ses travaux les plus importans. Ces documens sont de nature à prouver aux plus incrédules que l’anecdote racontée par Vasari ne repose sur aucun fait réel. Ceux qui ne savent pas les variations survenues dans la valeur de l’argent trouveront sans doute que les travaux de ce peintre éminent ont été rémunérés d’une manière misérable; mais cette opinion s’évanouit devant un examen attentif : il est désormais démontré que le Corrège n’a jamais ressenti les angoisses de la détresse. La coupole de San-Giovanni lui fut payée 472 sequins, somme très modique assurément, si on la compare au prix actuel des travaux de peinture; mais cette somme si modique