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pièces que nous possédons sur la condition matérielle du Corrège, quoique peu nombreuses, ne permettent pas d’ajouter foi à son dénûment. Je n’irai pas jusqu’à dire avec Lanzi qu’il reçut en dot de sa femme une somme importante, car cette dot, dont nous connaissons le chiffre, s’élève à 251 ducats, soit 2,510 francs, et tout en admettant qu’une honnête médiocrité se prête merveilleusement au développement du génie, je ne saurais voir dans une dot de cent louis une somme importante. Cependant, pour rester dans la vérité, pour estimer équitablement la condition du Corrège à l’époque de son mariage, il faut se rappeler que, dans les premières années du XVIe siècle, cent louis représentaient un bien-être très supérieur à celui qu’on pourrait se procurer aujourd’hui en échange de la même somme. D’après les calculs les plus modérés des économistes, il faut au moins tripler la dot d’Antonio Allegri pour se faire une juste idée des avantages que cette dot lui apportait. Soyons généreux et quadruplons; nous arrivons à dix mille francs. Quelque modeste qu’on le suppose dans ses goûts, dans ses habitudes, de bonne foi ce n’est pas là une fortune. Qu’on lui prête toutes les vertus imaginables, qu’on ajoute même à la dot de sa femme toutes les richesses morales dont Frosine entretient Harpagon pour le décider au mariage, on ne parviendra pas à lui donner l’opulence; mais il faut avouer pourtant qu’il se trouve à l’abri de la pauvreté, si la maladie ne vient pas arrêter ses travaux.

Lorsque Antonio Allegri se maria, il avait vingt-six ans, et la jeune fille qu’il épousait, Girolama Merlini, n’en avait que seize. La dot de Girolama était en terres, circonstance dont il faut tenir compte, si l’on veut estimer à sa juste valeur l’opinion de Lanzi, car chacun sait que le revenu de la terre est inférieur à l’intérêt des capitaux engagés dans l’industrie. Avec une fortune ainsi constituée, ce qu’on gagne en sécurité, on le paie par l’abandon approximatif de 50 pour 100. Plus d’un lecteur sans doute ne pourra s’empêcher de sourire en lisant ces évaluations minutieuses. Il est impossible pourtant de ne pas les aborder dès qu’il s’agit de la condition matérielle d’Antonio Allegri. Or en 1530, c’est-à-dire dix ans après son mariage, il achetait une terre de Lucrezia Pusterla, de Mantoue, veuve de Giovanni Cattania. Veut-on savoir quel était le prix de cette acquisition ? 195 écus. Admettons qu’il s’agisse d’écus d’or, de ducats : nous n’obtiendrons encore qu’une somme bien modeste, 1,950 francs. N’oublions pas qu’à cette époque, parvenu à l’âge de trente-six ans, le Corrège avait exécuté la plupart de ses grands travaux. Nous sommes donc forcé de croire, malgré l’optimisme de Lanzi, que ces travaux, dont nous dirons tout à l’heure le prix, ne l’avaient pas enrichi. Il avait pourvu aux besoins de sa famille, ce