Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Sixtine et les chambres du Vatican, est un exemple de plus qu’on peut citer en faveur de l’enseignement littéraire appliqué aux arts du dessin. Avant d’interroger les œuvres d’Andréa Mantegna, il s’est initié à l’expression de tous les sentimens par la lecture des poètes, des historiens et des philosophes. Berni, Marastoni et Lombardi n’ont pas été pour le développement de son génie des auxiliaires moins utiles que les tableaux et les statues qui plus tard déterminèrent le caractère de son style. Je ne crains pas d’insister sur ce point. La vérité sur laquelle je veux appeler l’attention des jeunes peintres, devenue depuis longtemps un lieu commun pour tous les hommes qui prennent la peine de réfléchir, a besoin d’être souvent rappelée pour entrer dans le domaine de la pratique. Il n’est pas hors de propos de signaler les avantages d’une éducation générale pour le maniement du pinceau ou de l’ébauchoir : la connaissance la plus complète du métier ne suppléera jamais à l’exercice préliminaire de l’intelligence sans aucun parti pris, sans aucun but déterminé. Avant de peindre ou de modeler, apprenez d’abord à penser, et sachez bien que c’est la méthode la plus sûre pour vous illustrer dans l’art que vous avez choisi. Les hommes de talent ne manquent pas, les hommes qui pensent et savent donner à leur talent une direction sérieuse sont, hélas! très peu nombreux. C’est pourquoi il ne faut négliger aucune occasion de remettre en lumière l’importance de l’éducation générale dans les arts mêmes qu’on est convenu d’appeler arts d’imitation. Pellegrino Allegri, obscur marchand de Correggio, l’avait compris par lui-même ou par ses amis, et son fils Antonio dut songer plus d’une fois avec reconnaissance aux études de ses premières années.

Les historiens de la peinture ne s’accordent pas sur le nom du premier maître d’Antonio Allegri. Le nom d’Andréa Mantegna étant éliminé par une date sans réplique, il faudrait choisir entre Lorenzo Allegri, Bartolotti et Bianchi. Les deux premiers vivaient modestement de leur métier dans la petite ville de Correggio, le troisième s’était acquis à Modène une sorte de célébrité. A vrai dire, aucun de ces trois noms n’expliquerait le style d’Antonio Allegri; il faut donc chercher ailleurs les auxiliaires de son génie. Or nous savons qu’il a travaillé pour le duc de Mantoue, qui possédait une collection de sculptures antiques. Francesco Mantegna et Begarelli avaient réuni dans leurs ateliers des plâtres moulés sur les marbres grecs et romains et des dessins exécutés d’après les originaux. C’est dans ces trois collections, selon toute vraisemblance, que le Corrège puisa les premiers élémens de sa manière. Begarelli s’était acquis une grande réputation dans l’art de modeler; quelques historiens pensent qu’Antonio Allegri a travaillé chez lui, et qu’il doit à ses conseils le rare