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Si je me déguise sur Dieu, sur quoi ne me déguiserai-je pas ? Je sais bien que vous vous déguisez par dédain : je n’aime pas que le dédain aille jusqu’à l’hypocrisie ; il y perd ce qu’il a de fier et de périlleux ; il y prend ce que l’hypocrisie a de bas et de commode. Ne serait-ce même que par indifférence que vous vous déguiseriez, cela ne vaudrait pas mieux, selon moi. Toutes les indifférences sont mauvaises. L’homme ne vaut que par le prix qu’il met à ses sentimens. L’indifférence a un grand air dont je ne suis pas dupe ; au fond, c’est faiblesse et mesquinerie de cœur. Qu’est-ce que la patrie ? qu’est-ce que la famille ? qu’est-ce que la religion ? dit l’indifférent. — Les noms de conventions sociales qui ne touchent à l’âme de l’homme qu’autant que l’âme veut bien y donner prise. — Essayez d’ôter à l’âme ces prises qu’elle donne sur elle-même, l’âme ne vit plus. Ce que vous appelez les concessions de l’âme, ce sont les causes mêmes de sa vie. Plus il y a de choses à quoi l’homme est indifférent, moins il est homme, et chaque fois qu’il met en doute un de ses sentimens et de ses affections, il s’affaiblit et s’anéantit lui-même.

Laissons donc de côté cette indifférence systématique qui me gâte le vicaire et qui lui ôte sa dignité en lui ôtant sa sincérité, venons aux doutes, à ses doutes sincères et scrupuleux, doutes contre le christianisme et doutes pour le christianisme. Ici l’homme est ouvert ; point de déguisement, point d’indifférence : l’Évangile l’attire et le domine ; mais dans l’Évangile aussi que de choses qui le déconcertent ! Jamais la confession d’une âme sincère et pieuse où le doute est entré et d’où la foi ne veut pas sortir n’a été plus expressive et plus éloquente. « J’avoue que la majesté des Écritures m’étonne ; la sainteté de l’Évangile parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe ; qu’ils sont petits près de celui-là ! Se peut-il qu’un livre à la fois si sublime et si simple soit l’ouvrage des hommes ? Se peut-il que celui dont il fait l’histoire ne soit qu’un homme lui-même ? Est-ce là le ton d’un enthousiaste ou d’un ambitieux sectaire ? Quelle douceur, quelle pureté dans ses mœurs ! quelle grâce touchante dans ses instructions ! quelle élévation dans ses maximes ! quelle profonde sagesse dans ses discours ! quelle présence d’esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses ? quel empire sur ses passions ! Où est l’homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir sans faiblesse et sans ostentation ! Quand Platon peint son juste imaginaire, couvert de tout l’opprobre du crime et digne de tous les prix de la vertu, il peint trait pour trait Jésus-Christ. La ressemblance est si frappante, que tous les pères de l’église l’ont sentie et qu’il n’est pas possible de s’y tromper. Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il pas avoir pour comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie ! Quelle distance de l’un à l’autre !