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immortalité que les grands noms se font dans la mémoire des hommes. Fiction toute romaine, mais qui soutient les âmes ; lieu-commun encore si vous voulez, ou plutôt assistance divine ! Faut-il se rapprocher des temps modernes ? Voyez la France à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe déchirée par les factions, livrée à l’étranger, sans roi et sans patrie, ravagée, désolée, désespérant d’elle-même et de Dieu ! Qui la soutiendra et qui la relèvera ? Un livre et une femme : L’Imitation de Jésus-Christ et Jeanne d’Arc ; le mysticisme le plus pur et le plus sublime, c’est-à-dire l’abandon à Dieu et le souverain oubli des choses de la terre ; le mysticisme, qui, se changeant en patriotisme dans Jeanne d’Arc, fit d’elle la libératrice et la martyre de la France. Admirable travail de l’âme humaine sur elle-même ! Un peuple allait disparaître de l’histoire, s’ensevelissant dans ses dissensions et dans ses malheurs. Dieu alors lui fait retrouver un de ces lieux-communs qui relèvent toutes les faiblesses, celles des peuples comme celles des individus, l’abandon à Dieu, l’abnégation de la terre. Et à mesure que l’homme abdique la vie terrestre, il se sent plus fort, plus hardi, plus confiant même pour défendre cette terre qu’il reniait quand elle s’appelait le monde, qu’il se prend à aimer quand elle s’appelle la patrie et qu’elle exprime un devoir sacré, si bien qu’il la reconquiert pied à pied, au prix de son sang et de sa vie, et qu’il finit par retrouver une patrie en récompense d’avoir d’abord retrouvé Dieu.

Voyez enfin le XVIIIe siècle : il s’affaissait dans l’incrédulité religieuse et dans l’insouciance morale, énervé par les délices de la civilisation, comme la France du XVe siècle l’était par le malheur. Qu’est-ce qui est venu le tirer de cet engourdissement moral et lui rendre l’inquiétude religieuse, sinon la croyance ? Ce sont encore ces antiques lieux-communs de l’existence de Dieu, de l’immortalité de l’âme, de la conscience et de la liberté, c’est-à-dire la profession de foi du vicaire savoyard. Ne médisons donc pas de ces lieux-communs qui viennent de temps en temps régénérer et raffermir l’âme humaine. Attachons-nous à ces nobles doctrines qui retardent la chute des nations en relevant la faiblesse des individus. À qui ne peut vivre, c’est quelque chose de mourir plus tard. J’entends bien les railleurs qui disent que Sénèque n’a point empêché Néron, quoiqu’il l’eût élevé, et que la profession de foi du vicaire savoyard n’a point empêché les horreurs de 93. Le bien, je le sais, ne germe pas vite dans le monde, et ses moissons sont lentes à venir, mais elles viennent. Le stoïcisme ne s’est point découragé de prêcher, et Rome a eu son

siècle des Antonins. Otez du monde ces philosophes que raillaient les 

beaux esprits de la cour de Néron, que Domitien persécutait et qui n’en continuaient pas moins à avertir et à raffermir les âmes, vous