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soldat de Simon de Montfort. Nous croirions volontiers qu’il fut proscrit pour quelque cause particulière, antérieure à la guerre civile dont il fut contemporain. Il fut un des derniers chefs de cette population mystérieuse des forêts, qui ne s’était probablement pas éteinte depuis le temps de la conquête. Il faisait la guerre à sa façon contre les seigneurs et les officiers du roi, sans se souvenir qu’ils étaient d’une race ennemie, venue du continent. Son nom eût peut-être échappé à l’histoire, s’il n’y avait eu de son temps une de ces grandes luttes qui mettent en mouvement toutes les parties de la société et produisent au jour des hommes et des choses jusque-là enfouis dans les ténèbres. Sans qu’il eût cessé peut-être sa vie de franc-archer, il se trouva mêlé dans les événemens de cette lutte. Il devint sans doute un centre et un point de ralliement pour des aventuriers ou trop obscurs pour obtenir grâce, ou trop remuans pour goûter le repos. Son courage ou son obstination lui méritèrent une place dans les traditions complaisantes du peuple et dans les souvenirs rapides des historiens. Nous nous arrêtons dans ce développement de notre hypothèse : la légende de Robin Hood ne nous paraît pas comporter une trop forte mesure de dogmatisme. Si, par notre éclectisme, Robin Hood n’a plus un caractère aussi bien déterminé, s’il n’est plus le vieux Saxon rebelle aux rois normands, s’il n’est plus le proscrit de Lewes et d’Evesham et le défenseur du parlement, il a un caractère plus général et une valeur plus compréhensive; il venge les petits des injures des grands; il triomphe de la force par la ruse; il dépouille les riches de leurs biens mal acquis, pour partager leurs biens entre les pauvres. C’est un type grossier et violent; mais la violence est la seule justice dont les esprits peu éclairés conçoivent l’idée. C’est surtout un type populaire. Les romanciers du moyen âge, témoins du triomphe de la violence, ont imaginé le modèle aussi noble que singulier d’une chevalerie qui parcourait le monde, vengeant la justice et redressant les torts. Robin Hood dans ses forêts n’est pas autre chose : c’est le chevalier errant du peuple; c’est le roi Arthur de la multitude.


L. ETIENNE.