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tombent dans l’oubli. Plus tard elles reviennent en faveur; la belle saison refleurit pour elles; de ballades et de drames qu’elles s’étaient faites, elles deviennent des poésies nouvelles et des romans. Walter Scott en fait un des plus charmans épisodes de son beau roman d’Ivanhoe, et James, le trop fécond, mais habile imitateur de Walter Scott, en tire son roman de Forest Days. Enfin la légende de Robin Hood, après avoir passé par toutes les formes de la littérature et par tous les caprice, des poètes, revient à son point de départ. Le roman historique la rend à l’histoire, et c’est M. Augustin Thierry qui s’est chargé de l’y inscrire de nouveau.

Quand on part des ballades pour s’expliquer Robin Hood, on est jeté dans les suppositions les plus contraires; on peut arriver à croire qu’il n’est qu’un voleur plus délicat que de coutume, un braconnier plus hardi qu’à l’ordinaire, ou, ce qui est à peu près la même chose, qu’il n’a jamais existé, qu’il est un mythe populaire, la fiction heureuse de quelque poète. Si, au lieu du doute, l’étude des ballades fournit quelque théorie positive, il n’en est pas de plus heureuse, de plus poétique, de plus vraisemblable que le chapitre de M. Thierry sur les outlaws. Leur amour de la liberté, leur attachement à la verte et joyeuse forêt, leurs revanches sur les barons et les lords, sur les évêques et les abbés, leur soin de ménager le pauvre, laboureur et artisan, leur générosité même et leur dévouement pour les faibles et pour les opprimés, tout cela s’accorde à merveille pour faire croire que ces outlaws ne sont autres que ces nombreux Saxons réfugiés dans les forêts après la conquête, et qui prolongèrent la résistance après que tout le reste eut reconnu la loi du vainqueur. Cependant on objecte à cette explication si plausible que les ballades ne font jamais mention d’une résistance au roi lui-même et d’un regret pour d’autres rois, pour un drapeau déchu, pour une nationalité éteinte; partout elles protestent du dévouement le plus entier à la personne royale.

Quand on part de l’histoire pour résoudre le même problème, il n’y a pas deux théories auxquelles on puisse aboutir, ni deux époques auxquelles on puisse s’arrêter. On arrive naturellement au système de l’écrivain de la Revue de Westminster et de M. Gutch, l’éditeur du charmant recueil que nous avons sous les yeux. Robin Hood a pris part à l’insurrection des barons contre Henri III; il a suivi Simon de Montfort aux combats de Lewes et d’Evesham; il a fait usage de son épée et de ses redoutables flèches pour la défense de la grande charte et du parlement. L’auteur du Scotichronicon permet bien de le comprendre ainsi, et son continuateur paraît le faire entendre; mais ici encore se présente une objection analogue à celle que nous faisions tout à l’heure. Si Robin Hood a embrassé la cause des barons révoltés, comment ses ballades n’en parlent-elles pas ? comment se fait-il qu’elles ne les nomment que comme des ennemis ? Si Robin Hood s’est trouvé enrôlé dans un grand parti, s’il a combattu sur quelque champ de bataille, pourquoi n’en reste-t-il aucune trace dans les chansons ?

Nous avons pris Robin Hood tour à tour dans l’histoire et dans les ballades; nous acceptons les données de la première, et nous les vérifions, nous les contrôlons par le témoignage des secondes. Robin Hood ne nous paraît être ni simplement un Saxon révolté après la conquête, ni tout uniment un