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n’aura pas de patience, et cela par la même raison. Il demandera à la vie les amusemens qu’on a donnés à son enfance, et comme il ne les trouvera pas, comme il rencontrera les devoirs et les travaux au lieu des plaisirs, il s’impatientera contre la condition humaine ou plutôt contre la société, qui ne l’amusera pas assez. Les enfans amusés sont en général des jeunes gens tristes et mécontens.

L’art de l’éducation de l’enfance est donc d’étudier attentivement quelle est la nature de l’enfant, de ne rien lui refuser de ce qui est à sa portée naturelle, soit dans le monde moral, soit dans le monde physique, mais de ne point ajouter à la portée de ses mains, de ses idées et de ses affections par un empressement indiscret. Ne supprimez rien de ce qu’il y a dans l’enfant, n’y ajoutez rien, n’y substituez rien. Point d’inertie et d’inaction, sous prétexte d’aider à l’éducation naturelle ; point de développement systématique et prématuré, sous prétexte d’avancer l’éducation morale de l’enfant.

Pourquoi Mme Necker-Saussure a-t-elle mieux compris l’enfant que ne l’a fait Rousseau ? C’est qu’elle a vu qu’il y avait dans l’enfant deux choses : une création et une ébauche, quelque chose d’achevé et quelque chose de commencé, une perfection qui en prépare une autre, un enfant et un homme. Dieu, qui a composé la vie humaine de plusieurs pièces, a voulu, il est vrai, que toutes ces pièces se rapportassent l’une à l’autre ; mais il a voulu aussi que chacune de ces pièces fût complète en soi, si bien que chaque âge de la vie a ce qu’il lui faut pour le but de sa saison et ce qu’il lui faut aussi pour amener la saison prochaine. Admirable combinaison de buts et de moyens qui se manifeste à tous les degrés de la création ! Tout est but et tout est moyen ; tout est absolu et tout est relatif. Prenez l’homme, et considérez-le en lui-même : c’est une création complète, une œuvre qui a en elle son but et ses moyens ; il est, par son âme immortelle, une personne indépendante, soit dans le temps, soit dans l’éternité. Prenez l’humanité ; l’homme n’est plus que l’élément d’un grand tout, et l’humanité elle-même n’est dans le monde qu’une des parties de la création. Les générations s’enfantent et se préparent les unes les autres, et quand je considère cette loi de la continuité humaine, je me prends à croire que mon père n’a existé que pour que j’existasse, et que je n’existe moi-même que pour que mon fils existe à son tour. Que suis-je donc ? Un germe sorti d’autres germes, et d’où sortiront à leur tour d’autres germes. Suis-je pour eux ? suis-je pour moi ? Je suis pour eux et je suis pour moi ; je suis en même temps un tout et une partie, un monde et l’élément d’un monde.

Ce qu’est l’homme à l’égard des générations humaines, chaque âge l’est à l’égard de la vie tout entière. Chaque âge est un tout organisé pour vivre, et qui a en soi ce qu’il lui faut pour atteindre