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littérature, et si je cherchais à déterminer quel est l’avantage particulier de la vérité dans l’éducation, je dirais qu’elle calme et qu’elle affermit les esprits parce qu’elle est simple, tandis que la fiction et le drame les agitent, parce que la fiction et le drame sont compliqués de leur nature.

Rien n’est si bon aux enfans que le calme et la simplicité. « Un habile médecin allemand était frappé, en arrivant en France, dit Mme Necker, de voir à quel point on y cherchait à exciter la vivacité des enfans. — Il m’a paru, dit-il, que les mères jouaient trop avec leurs enfans dans la première époque de leur vie, et qu’elles excitaient trop tôt leur vivacité. En Allemagne, on entend souvent les mères recommander à leurs enfans de se tenir tranquilles…. Je crois en effet, continue Mme Necker, que bien souvent nous agitons trop les enfans. Il ne faut pas les laisser s’ennuyer, je l’accorde : l’ennui est une léthargie de l’âme ; mais ce qui ramène sans cesse une telle maladie, c’est l’excès des distractions que nous croyons devoir donner aux nouveau-nés[1]. » L’excès de la distraction pour les enfans nouveau-nés, l’excès de l’amusement pour les enfans et pour les jeunes gens introduit de fausses idées dans l’esprit de l’homme, et c’est là le principal reproche que je fais à la méthode qu’ont les parens de trop amuser. les enfans. Ils commencent par s’en amuser beaucoup eux-mêmes, quand les enfans sont tout petits ; ils finissent par se plaindre que les enfans, à mesure qu’ils grandissent, ne soient plus amusables qu’à grands frais. Le mal va plus loin que cette plainte. La vie humaine est un cercle de devoirs et de travaux, non de plaisirs. Or qu’arrive-t-il quand vous habituez l’homme de si bonne heure à tant s’amuser ? Vous lui faites une enfance qui est le contre-pied de la vie, et qui par conséquent n’en est pas l’apprentissage ; vous l’accoutumez à demander à la vie plus qu’elle ne peut lui donner, et vous lui préparez les plus cruels désappointemens. Les enfans ont une qualité charmante, c’est leur sérénité, et leur sérénité tient à ce qu’ils n’ont que des impressions et des distractions mesurées à leur force, tant qu’ils sont laissés à eux-mêmes. Les hommes à leur tour ont une qualité admirable, c’est leur patience, et la patience de l’homme tient à l’expérience qu’il fait chaque jour de la vie ; il sait ce qu’elle donne et ce qu’elle refuse. Quand vous donnez à l’enfant l’habitude de la distraction, je veux dire de la distraction qui lui vient de l’empressement des autres et non de son activité enfantine, vous ôtez à l’enfant sa sérénité, que vous remplacez fort mal par la joie turbulente et affairée que vous lui procurez. L’enfant qui n’a pas eu de sérénité risque fort d’être un homme qui

  1. Education progressive de Mme Necker-Saussure, t. Ier, p. 173-177.