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avec Little John, Sathlock et autres compagnons du franc-archer. Il paraît que les amours de Robin et de Marian viennent du célèbre Jeu de Robin et Marion, qui se chantait en France dès le XIVe siècle, et qui s’introduisit bientôt dans les petites représentations dramatiques des jeux de mai. Par une confusion assez naturelle, du personnage pastoral de Robin, dans Robin et Marion, on fit le braconnier Robin Hood, et, par suite de cette confusion, le franc-archer fut accolé à cette Marian ou Marion, espèce de beauté champêtre représentée par un garçon dodu et joufflu, qui était en possession de réjouir les paysans. Robin et Marian devinrent le roi et la reine de mai; le franc-archer fut transformé en une sorte de génie trivial et grossier du printemps ; sa pesante Marian fut la Flore de ce Zéphyre en grosses bottes et en capuchon vert. Ce n’est pas que la confusion du may-game et de la légende de Robin Hood n’ait produit que des jeux et des chants dépourvus de grâce. Nous avons une ballade du XVIe ou du XVIIe ’siècle qui raconte avec enjouement, et dans des strophes pleines d’élégance, la naissance, l’éducation et le mariage de Robin Hood. Le brave yeoman, issu de chevalier par sa mère, excellent archer, vigoureux lutteur, point voleur ni pillard, rencontra dans la forêt de Sherwood Clorinda, reine des bergers, portant une robe de velours vert et des brodequins qui lui montent jusqu’au genou. Ils s’éprennent d’amour aussitôt l’un pour l’autre, et la ballade se termine sur leurs noces.

Des jeux grossiers et informes du may-game, Robin Hood et Marian passèrent au théâtre, qui avait, à cette époque-là du moins, le privilège de tout ennoblir. Robin Hood devint Robert, comte de Huntingdon, et Marian fut Mathilde, fille de lord Fitzwater. Celle-ci préférait son amant au roi Jean-sans-Terre, et renonçait à ses richesses pour suivre Robert proscrit et devenu franc-archer dans les forêts. Anthony Munday, l’un des contemporains de Shakspeare, a fait sur ce sujet un drame qui est demeuré populaire. On ne pouvait faire du héros de Robin Hood, le héros de la yeomanry, une métamorphose plus complète : le voilà devenu comte et mari d’une jeune comtesse. Il ne manquait plus que de produire ses titres de noblesse, et c’est ce que l’on donna sous la forme de cette épitaphe prétendue authentique :

« Ici, sous cette petite pierre, gît Robert, comte de Huntingdon. Jamais il n’y eut si bon archer; le peuple le nomma Robin Hood; l’Angleterre ne reverra pas des outlaws comme lui et ses hommes. »


La vie et les actions de Robin Hood, après avoir été de l’histoire, sont devenues des épopées, des chants et des ballades; sous cette forme changeante et diverse, elles ont amusé le peuple anglais pendant quatre siècles; elles ont formé durant cette période une bonne partie de sa littérature vulgaire. De ballades qu’elles étaient, elles sont devenues des jeux dramatiques et des dialogues représentés dans les carrefours; elles ont été la légende bizarre et dégénérée du printemps et des joyeusetés champêtres. Puis elles sont montées sur le théâtre; elles ont chaussé le cothurne, et ont fait figure à côté des drames de Shakspeare. Du théâtre elles passent dans les recueils populaires et dans de petits volumes, ornés d’assez vilaines gravures, qui avaient cours dans les provinces et dans les campagnes; de ces volumes à bon marché, elles