Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voilà les succès que la mode fit à Rousseau ; mais ces succès, tout frivoles qu’ils étaient, ne doivent cependant pas être dédaignés : ils en indiquaient et en précédaient de plus sérieux et de plus durables. Je n’attribue pas seulement à Rousseau et à ses préceptes sur la nourriture des enfans la régénération de l’esprit de famille dans notre pays. Les douloureuses épreuves de la révolution, le malheur, le trouble des fortunes, le bouleversement des rangs, et, même de nos jours, les vicissitudes politiques qui, tous les quinze ou vingt ans, font des loisirs forcés tantôt à une partie de la société, tantôt à une autre, loisirs qui ramènent à la vie domestique et à ses soins paisibles et heureux ceux qui s’en étaient écartés pour un moment, et qui y confirment ceux qui y étaient restés attachés ; tout cela, je l’avoue, a plus fait pour la régénération de l’esprit de famille que les conseils éloquens de Rousseau. Il ne faut pas croire cependant que ces conseils n’aient eu aucune part à cet heureux changeaient. L’éloquence de Rousseau a rendu à la vie domestique le service de l’honorer, de l’accréditer, de la mettre à la mode, et le service n’est pas médiocre dans un pays où la vanité décide des choses même les plus graves, où personne ne veut être singulier, même en ayant raison, et où tout le monde aime mieux se priver d’être heureux que de s’exposer à être ridicule. La nécessité a beaucoup aidé à la restauration de l’esprit de famille chez nous ; mais la mode venue de Rousseau avait préparé cette révolution morale.

L’habitude que les femmes ont prise de nourrir leurs enfans ou de les soigner les a amenées aussi peu à peu à vouloir les élever dans leurs premières années, et cela encore a été un grand bien pour les mères et pour les enfans : pour les mères, que les premières leçons qu’elles ont à donner aux enfans ont fait réfléchir sur elles-mêmes. Que de femmes, j’en suis sûr, n’ont commencé à réfléchir que le jour où elles ont eu un enfant à élever ! Que de ménages où il n’est entré une idée morale, une idée à la fois douce et sérieuse, que le jour où un enfant est arrivé ! Jusque-là, les plaisirs du mariage en cachaient les devoirs. Pour les enfans, l’avantage n’est pas moins grand, car ils ont près d’eux dans leur mère l’institutrice qui sait le mieux les comprendre et qui sait aussi le mieux se faire comprendre par eux. Quelles leçons plus douces et plus aisées que celles qui sont mêlées aux plus tendres soins, et que ces soins même n’interrompent point ! Comme la mère s’achemine facilement du cœur de son enfant à son esprit ! Avec un instituteur ou une institutrice étrangers, tout est nouveau, tout est inconnu. L’apprentissage que l’enfant a à faire de son maître est déjà une grosse étude. Avec la mère, cet apprentissage est tout fait ; rien ne déconcerte l’enfant, rien ne le dépayse. Ajoutez la conformité vraisemblable des natures rendue plus grande